Les membres du bureau du centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT) les professeurs J. Costentin, J.-P. Goullé, C. Giudicelli, J.-P. Tillement, le bâtonnier A. De Bézenac
Madame A. Buzyn, ministre de la Santé, a déclaré (le 24 mai) sur « France Inter » : « l’utilisation du cannabis à des fins médicales pourrait arriver en France. Je pense que nous avons du retard. Je ne peux pas vous dire à quelle vitesse nous allons le développer mais en tous les cas, j’ouvre le débat avec les institutions responsables de ce développement. Il n’y a aucune raison d’exclure, sous prétexte que c’est du cannabis, une molécule qui peut être intéressante pour le traitement de certaines douleurs très invalidantes. J’ai demandé aux différentes institutions qui évaluent les médicaments de me faire remonter l’état des connaissances sur le sujet ».
Cette déclaration a, évidemment, fait le Buzz et nous sommes de ceux qui l’ont trouvée maladroite, en ce qu’elle entretient la confusion entre le cannabis, plante toxicomanogène et le concept de médicament. Il y a quelques années l’Académie de médecine concluait une étude consacrée à cette plante : « Le cannabis : un faux médicament et une vraie drogue ».
La France aurait du « retard » si disposant de données pharmacologiques irréfragables et importantes elle n’en tirait pas parti ; or ces données n’existent pas. Les éléments disponibles ne justifient pas le forcing d’appétits mercantiles impatients, qui font fi du sacro-saint principe « Primum non nocere » (d’abord ne pas nuire).
Les Etats qui ont franchi le pas du « cannabis médicament », sous la pression de lobbies cannabinophiles, ne se sont pas embarrassés des critères rigoureux qui, en France, président à l’élévation d’une molécule à la dignité de médicament. Sous prétexte qu’il s’agit de composants du chanvre indien, devrait-on rompre avec les précautions accumulées au cours du temps, pour améliorer la sécurité du médicament. On doit faire encore mieux à cet égard, après quelques « loupés » récents dont des médias se repaissent goulûment, alors qu’ils se passeraient de ces précautions quand il s’agit de cannabis.
On ne saurais rejeter a priori tel cannabinoïde (parmi la centaine que recèle le cannabis) s’il montrait, à l’état pur, un intérêt thérapeutique à des doses éloignées de celles suscitant des effets délétères. C’est ce que fait la pharmacologie depuis François Magendie (1783-1865) et son continuateur Claude Bernard (1813-1878).
Les Etats qui ont légalisé le cannabis à des fins récréatives, ont toujours commencé par le travestir en médicament. Notre Ministre, non suspecte de jouer de cette grosse ficelle (en chanvre), trouble néanmoins l’opinion publique, déjà terriblement désinformée sur cette drogue, en parlant globalement de cannabis.
Le THC/ tétrahydrocannabinol, unique attente des toxicomanes qui requièrent la légalisation du cannabis, est déconsidéré comme médicament du fait de son déplorable rapport bénéfices/risques. L’intensité de chacun de ses effets thérapeutiques potentiels est modeste, comparée à celle de médicaments disponibles. Il n’a pas de spécificité d’action (au lieu du projectile qui vise une cible biologique, c’est une grenade qui envoie des projectiles dans tous les sens), modifiant simultanément de nombreuses fonctions, ce que l’on n’accepte plus d’un médicament. Et surtout il est invalidé par les risques nombreux et souvent graves qu’il fait courir à ses utilisateurs : Addiction, anxiété, dépression, schizophrénie, ivresse, perturbation de la conduite d’engins de tous types, désinhibition, altérations de la mémoire et de la cognition, artérites, angine de poitrine, infarctus du myocarde, immunodépression, perturbations de la grossesse et de l’enfant qui en naitra, modifications épigénétiques transmises à la descendance…
La déconfiture thérapeutique du THC étant patente, ceux qui avaient investi dans le cannabis s’escriment à recycler le concept en promouvant son congénère, le cannabidiol (CBD), soudain paré de mille vertus. Il intensifierait les effets bénéfiques du THC et annulerait ses effets délétères (miracle de la phytothérapie !). Pour le démarquer du THC, il est prétendu que le CBD n’a pas d’effets psychotropes mais simultanément, pour le glorifier, il lui en impartissent une longue liste (comprenne qui pourra). Il est présenté comme une thériaque (ce qui en thérapeutique est devenu invalidant). Au stade de ses investigations, on ne peut présager de son avenir thérapeutique. Le fait qu’il provienne du cannabis indica, ne saurait le condamner a priori, d’autant qu’on dispose désormais de cultivars produisant du CBD en l’absence de THC. Si de jolies fleurs odorantes poussaient sur du fumier, on ne devrait pas s’interdire de les cueillir, pour s’en parfumer…
Madame la ministre ne réitérez pas l’erreur de votre prédécesseur qui, sous la pression de lobbies, a autorisé dans la précipitation le Sativex®, présenté comme une révolution thérapeutique (contre les spasmes musculaires douloureux de la sclérose en plaques). Cinq ans plus tard il n’est pas commercialisé en France, son « service médical rendu » étant jugé « insignifiant ». Cette « montagne a accouché d’une souris », mais elle laisse dans nombre d’esprits crédules des souvenirs himalayens. N’abdiquez pas votre bon sens, votre culture et votre éthique médicales pour complaire aux lobbies qui resurgissent et qui, pour nous entraîner dans le grand bain de la légalisation du cannabis, voudraient d’abord nous faire patauger dans le pédiluve du « cannabis-médicament ».