Jean-Pierre Pujol,
Pr de Biochimie (Université de Caen) et
membre du CNPERT
(Centre National de Prévention, d’Études et
de Recherches sur les Toxicomanies),
craint que la consommation de stupéfiants
soit banalisée dans l’opinion publique.
Un nouveau dispositif destiné, selon le gouvernement, à réduire l’augmentation du nombre de consommateurs de stupéfiants, particulièrement de cannabis, va être testé dans les villes de Rennes, Reims et Créteil à partir du 16 juin. Les contrevenants devront s’acquitter de 200 € (montant minoré à 150 € et majoré à 450 € en fonction du délai de paiement). L’usage de stupéfiant sera donc forcément perçu par les usagers comme un délit mineur, au même titre qu’un excès de vitesse sur la route, et va sans doute contribuer à le banaliser dans l’opinion publique.
Des peines de prison rarement effectuées
Comment en est-on arrivé là, alors que la France est connue pour avoir une loi plutôt répressive, prévoyant jusqu’à un an de prison et 3 750 € d’amende ? Tout simplement parce que cet arsenal législatif n’est pas, ou peu, appliqué d’ordinaire. En ce qui concerne le trafic, l’offre de stupéfiants conduit de même à des peines de prison rarement effectuées, si l’on compare la situation à d’autres pays européens.
Selon une étude de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT), parue en 2017 et portant sur 25 pays, en Grèce l’offre d’un kg d’héroïne conduit à une peine médiane de 20 ans de prison et l’offre d’un kg de cannabis à 10 ans de prison. À l’autre extrémité de l’échelle on trouve les deux pays les plus tolérants, les Pays-Bas et la France où l’offre d’un kg d’héroïne conduit à une peine médiane respective de 1 an et de 2 ans de prison. La situation a été encore assouplie par la loi Tubiana.
En France, souvent l’aménagement de peine conduit au paiement immédiat d’une amende et éteint l’action publique. Peu de prévenus effectuent réellement leur peine de prison.
« Frapper au porte-monnaie »
Face à cette situation, on comprend que les policiers et gendarmes chargés de lutter contre l’usage de stupéfiants soient découragés de voir que leur travail ne permette pas de traduire les usagers et les trafiquants (la distinction est souvent difficile à établir) devant les tribunaux.
Alors, encore une fois, on choisit la facilité… On va « frapper au porte-monnaie », en espérant que cette mesure soit de nature à dissuader les consommateurs de consommer. Or, l’addiction au cannabis (souvent suivie de l’addiction à la cocaïne) est connue pour être très forte, conduisant à la recherche de substances de plus en plus dosées.
Une amende forfaitaire ne pourra jamais décourager un consommateur au point de renoncer à l’usage de sa drogue. A fortiori si celui-ci fait partie de la population aisée, peu affectée par le paiement d’une amende même élevée. À l’inverse, ce dispositif ne va-t-il pas pousser davantage certains individus, moins favorisés, à rechercher par tous les moyens, y compris les violences, de quoi financer leur consommation ?
300 000 enfants de 12 à 15 ans
Cette nouvelle règle est l’occasion, encore une fois, de constater qu’aucune réponse sanitaire n’est prévue pour lutter contre ce fléau. Or, c’est oublier les méfaits du cannabis sur la santé, non seulement chez les adultes mais surtout chez les jeunes adolescents.
En France, on compte 1,6 million de consommateurs réguliers de cannabis et 300 000 enfants de 12 à 15 ans ont déjà expérimenté cette drogue.
Le cannabis n’est pas une drogue « douce » : un grand nombre de travaux scientifiques et d’études statistiques ont démontré définitivement qu’il s’agit d’une « drogue dure », qui provoque une addiction extrêmement forte, aggravée par l’association au tabac et à l’alcool, et menant très souvent à « l’escalade » vers d’autres drogues encore plus néfastes (cocaïne, héroïne).
Nombreux troubles mentaux, violences conjugales
Par sa grande solubilité dans les lipides, la substance active, le THC, s’associe aux membranes cellulaires, peut franchir aisément la barrière hémato-encéphalique et s’accumuler dans le cerveau.
Chez les adolescents, où cet organe est en cours de maturation, il provoque de nombreux troubles mentaux : perturbation de la mémoire, défocalisation de l’attention, ataxie, incoordination motrice, désinhibition pouvant conduire à des prises de risque, induction de raptus agressifs contre soi-même ou dirigés contre autrui, potentialisation des effets ébriants ou hallucinogènes, troubles psychiatriques (schizophrénie), anxiété et dépression.
L’usage du cannabis chez l’adulte conduit souvent à des manifestations d’agressivité violente. L’analyse des faits divers montre que beaucoup des violences conjugales observées lors du récent confinement se sont déroulées sur fond de cannabis.
Traiter comme une maladie
Il faut donc considérer que le consommateur de cannabis est avant tout un malade et qu’il doit être traité comme tel. Même s’il faut déplorer que les peines soient peu souvent appliquées, le passage devant le juge permet au moins à celui-ci de prononcer l’obligation de traitement. Avec l’application de l’amende, cette possibilité disparaît.
En définitive, nous sommes toujours dans l’attente d’une vraie politique de lutte contre la toxicomanie, qui impliquerait en particulier un programme de prévention dès l’école primaire, comme c’est le cas en Suède par exemple.
Quand les pouvoirs publics prendront-ils conscience de l’importance du problème sanitaire posé par la toxicomanie ?