ENTRETIEN. Kevin Sabet, cofondateur de Smart Approaches to Marijuana, explique pourquoi, selon lui, la légalisation est une très mauvaise idée.
Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart
Spécialiste depuis 20 ans des politiques de lutte contre les drogues, Kevin Sabet est docteur en politiques publiques, auteur et consultant, et cofondateur et président depuis 2013 de SAM (Smart Approaches to Marijuana), une organisation de lobbying antidrogue. « L’un des plus grands ennemis de la légalisation du cannabis », selon le magazine Rolling Stone, il a travaillé sous trois administrations différentes – Clinton (2000), Bush (2002-2003) et Obama (2008-2011) – comme conseiller au sein de l’Office of National Drug Control Policy. Après Reefer Sanity: Seven Great Myths About Marijuana (Beaufort Books, 2013), il vient de publier Smokescreen: What the Marijuana Industry Doesn’t Want You to Know (Forefront Books, 2021), où il s’alarme de la constitution de ce qui pourrait devenir un nouveau « Big Tobacco ».
Le Point : Quel est l’état de la législation aux États-Unis ?
Kevin Sabet : La perception dominante est que le cannabis est en train d’être légalisé partout aux États-Unis. Mais la réalité est que cela ne concerne que 16 États sur 50, et que le gouvernement fédéral et le président y sont opposés. Comme en France, la tactique des partisans du cannabis est de prétendre que ce mouvement est inéluctable. Mais c’est faux ! La politique est imprévisible. Le Colorado est même sur le point de limiter davantage la consommation. Et cette année, plusieurs États ont rejeté la légalisation. De plus, dans tous les États, même là où le cannabis est légal, les électeurs s’opposent toujours à l’existence de magasins de détail de cannabis dans leur quartier.
Pourquoi faire campagne contre la légalisation du cannabis ?
Je m’intéresse à ce sujet depuis mon adolescence. Je vis en Californie et j’y ai vu l’effet du cannabis sur les jeunes, notamment à l’université de Berkeley, que j’ai fréquentée. Ces jeunes ne peuvent vivre pleinement leur vie parce qu’ils ont consommé cette substance dont ils pensaient qu’elle était inoffensive. Dans les vingt dernières années, nous avons beaucoup appris sur les dommages causés par celle-ci. L’expérience américaine du cannabis n’est pas un exemple à imiter. Or lorsque je travaillais pour Barack Obama, j’ai remarqué à quel point le contraste était fort entre ce que les gens en comprenaient et ce qu’en disaient les scientifiques. Car dès cette époque, il y avait de fortes pressions en faveur de la légalisation. En m’y intéressant de plus près, je me suis rendu compte qu’elles étaient largement le fait de grandes entreprises qui y voient un nouveau moyen de faire du profit.
À LIRE AUSSICannabis : l’amende, c’est de la « merde »
Quelles entreprises ?
Essentiellement l’industrie du tabac (par exemple Altria – qui détient Philip Morris – et Imperial Brands), mais aussi celle des vins et spiritueux. Ces multinationales qui valent des milliards de dollars sont les principaux acteurs à s’impliquer au niveau mondial pour légitimer, normaliser, légaliser et demain commercialiser le cannabis. Il y a aussi des fondations, comme les Open Society Foundations de George Soros . C’est ce dont parle mon livre. J’y retrace mes rencontres avec des personnes qui travaillaient dans ces domaines et qui regrettent leur implication en raison des problèmes causés aux familles par cette drogue, et avec des parents et des jeunes qui évoquent leur addiction et leurs problèmes de santé qui en découlent. J’ai aussi enquêté sur ceux qui financent les campagnes de légalisation, et ai trouvé que presque tous y ont un intérêt lucratif. À côté de cela, les autorités médicales, l’OMS, les Nations unies et toutes les grandes associations médicales du monde s’accordent dans leur opposition à la légalisation du cannabis en raison de sa nocivité. C’est pourquoi avant même de la légaliser, il ne faut pas légitimer cette pratique.
Quid de la perspective d’une production nationale, locale, et même individuelle ?
Nous ne sommes plus au temps des hippies ! Je trouve l’idée de productions nationales ou locales naïve. Ce sont les multinationales qui en tireront essentiellement profit.
Pourquoi le cannabis bénéficie-t-il d’une si bonne image, notamment chez les jeunes ?
Le cannabis est promu par des célébrités. Il est supposé aider les jeunes à se détendre et les vieux à aller mieux. C’était le cas du tabac à ses débuts, et il nous a fallu cent ans pour qu’il soit enfin considéré négativement, même si ses dommages étaient connus depuis longtemps. Comme l’industrie du tabac a besoin de nouveaux produits, le cannabis permet à la fois de combler ce manque et de redorer son blason.
Ceux qui défendent la légalisation prétendent que le cannabis n’a pas d’effet si nocif sur la santé.
Le cannabis altère l’esprit. Dire que le cannabis ne provoque pas d’addiction est aussi lunaire que de prétendre que le changement climatique n’existe pas ou que la Terre est plate. Il n’y a pas de « débat » scientifique là-dessus, il y a un consensus. Alors cela ne concerne que certaines personnes, mais c’est comme le tabac ! La proportion de jeunes dépendants du cannabis est le double de celle du tabac et de l’alcool. On constate que de plus en plus de personnes développent cette addiction par le biais d’une consommation individuelle extrême, hors de tout cercle social. La proportion de personnes qui consomment tous les jours est plus forte pour le cannabis que pour l’alcool. Je veux insister sur le fait que le cannabis d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier ! La force du THC, son principe actif, est de nos jours inédit, bien supérieure à ce qu’elle était. Le cannabis, aujourd’hui, ce sont les concentrés, les cires, le vapotage avec cigarette électronique, les bonbons, les cookies, les glaces…