Professeur Jean Costentin
Président du Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies (CNPERT)
Le Comité économique social et environnemental (CESE) est constitué de membres désignés (non élus donc), rémunérés, effectuant un mandat de 6 ans (éventuellement renouvelable). Si ses avis passent le plus souvent inaperçus, son plus récent, prônant la légalisation du cannabis, connaît un inhabituel retentissement médiatique.
Etant parmi ceux qui connaissent bien le cannabis (bien que n’en ayant jamais consommé) cet avis m’a surpris et choqué. Cet avis, complètement en dehors des compétences du CESE, n’a pu être conçu qu’en servant de plume à des idéologues sévissant depuis longtemps pour sa légalisation et ne cachant même plus leur dessein de légaliser toutes drogues.
Les rédacteurs en tête de cette déclaration sont associés par des options politiques homogènes : un conseiller confédéral de la CGT (F. Naton), un ancien président de l’UNEF (H. Eyriey), un porte parole des « Amis de la Terre France » (F. Compan).
L’avis du CESE part du constat, au demeurant exact, que la loi de décembre 1970 qui prohibe le cannabis n’est pas respectée.
Mais il ne pose pas la question majeure : Pourquoi sommes-nous en Europe, ses plus gros consommateurs ? La réponse permettrait de proposer des remèdes pertinents.
Cette loi de 1970 est bafouée : – parce que la justice a laissé filer, sous le prétexte de la trop grande rigueur des sanctions prévues (3.500 € d’amende, voire un an de prison).
Alors qu’elle aurait pu ajuster l’amende en fonction du contexte du délit, elle a systématiquement classé sans suite, décourageant la police de continuer de lui présenter les contrevenants ;
- parce que la loi n’a pas été enseignée, au point qu’elle est souvent ignorée ; elle n’a pas été justifiée comme un moyen de protéger nos concitoyens et en particulier nos adolescents contre les méfaits nombreux et parfois graves de cette drogue ;
- parce qu’aucune démarche de prévention n’a été mise en oeuvre (comme l’a déploré l’Observatoire Européen des drogues et des toxicomanies). Notre «Education » Nationale est totalement défaillante à cet égard, en étant encore à tester les modes de communication qu’elle pourrait utiliser.
- L’acronyme CESE comporte les mots Economique et Social, mais l’avis qu’il émet sur le cannabis fait l’impasse sur ces aspects.
- Il occulte les méfaits sanitaires de cette drogue, alors que nos hôpitaux psychiatriques débordent de ses consommateurs : victimes de schizophrénie (jeunes sortis ad vitam du circuit économique, avec des prises en charge et des traitements d’un coût considérable) ; victimes de dépression, rescapés de tentatives de suicide ; victimes d’anxiété ; victimes d’autres drogues auxquelles le cannabis a permis l’accès, par le jeu de l’escalade.
- Le cannabis s’abat sur les jeunes au cours de leur maturation cérébrale (12 à 24 ans) et de leur formation éducative, que perturbe son THC.
Le poids du cannabis dans l’accidentalité routière et professionnel échappe au CESE ; le cannabis seul est pourtant responsable annuellement de près de 300 morts de la route et son association fréquente à l’alcool multiplie par 27 le risque d’accidents mortels, auxquels s’ajoutent les nombreux estropiés de la route et du travail. - Le coût de la prise en charge médicale des addictions est énorme, avec les CAARUDs, CSAPAs, bus méthadone, équipes d’addictologie, services hospitaliers et cliniques dédiés aux toxicomanies, programmes buprénorphine, méthadone… tout cela pour des résultats modestes.
- Rappelons aux membres du CESE qu’on ne dispose d’aucun médicament permettant de détacher du cannabis un sujet qui en est devenu dépendant.
- Suggérons leur de s’intéresser aux effets épigénétiques du cannabis. Ils consistent en une modification d’expression de certains gènes, suscitant des effets qui s’expriment très au delà de l’élimination du cannabis de l’organisme. Ils affectent ses consommateurs en intensifiant par exemple les sensations que leur procurent certaines drogues, ce qui les incite à les consommer (escalade toxicomaniaque à l’origine des polytoxicomanies qui se multiplient).
- Le consommateur de cannabis pourra transmettre aux enfants qu’il viendrait à concevoir différentes anomalie (telles des malformations) ou des vulnérabilités : aux toxicomanies (qui se révéleront à l’adolescence), à l’autisme, à la dépression, à des troubles anxieux, à la schizophrénie, à des déficits immunitaires…
- Au plan social, le cannabis est la drogue de la « crétinisation » ; son envahissement de l’espace éducatif relègue les jeunes français au 27 ième rang du classement PISA des performances éducatives internationales, par ses effets sur les jeunes ainsi que sur certains de leurs enseignants.
- C’est la drogue de la démotivation, de l’aboulie, de la résignation, du renoncement ; effets appréciés des militants de la
- régression économique.
- Contestons vite les arguties régulièrement resservies au point d’être surannées :
- D’une légalisation limitée aux seuls adultes, sans doute à l’instar du tabac, que majoritairement les buralistes vendent aux mineurs.
- D’une disparition du trafic, qui n’est constatée en aucun des Etats où il a été légalisé, du fait de la vente parallèle d’un cannabis plus fortement dosé en THC et d’un prix inférieur au produit « légal », avec l’offre par les dealers d’autres drogues encore plus toxiques : cocaïne – crack, cathinones, cannabinoïdes de synthèse, morphiniques (dont le fentanyl, responsable annuellement de plusieurs dizaines de milliers de morts aux U.S.A.) ; tous ces trafics continuant de mobiliser
la police. - De l’abondement du budget de la Nation par des taxes ; rappelons qu’au Colorado pour 1 $ que le cannabis permet d’encaisser 4,5 $ doivent être déboursés pour des dépenses induites par cette consommation (santé, accidents, justice…) sans inclure l’incurie des nombreux consommateurs que l’Etat doit secourir.
Le CESE devrait réfléchir davantage avant d’exprimer de tels avis qui le déconsidèrent, tandis que les médias, acquis à la légalisation du cannabis, ne devraient pas faire feu de tout bois en donnant de l’importance à son malencontreux avis.