Publié le 18/02/2023

« La cocaïne désinhibe et augmente donc l’imprudence ». © Thierry LINDAUER
- La cocaïne est devenue la deuxième drogue illicite la plus consommée en France, derrière le cannabis. Banalisée, elle n’épargne plus personne. L’accident très médiatisé de l’humoriste Pierre Palmade rappelle à quel point la dépendance à la cocaïne peut se révéler tragique.
Georges Brousse est chef du service d’addictologie du CHU de Clermont-Ferrand et président de l’association Addictions France. Il nous détaille les mécanismes de cette addiction à la cocaïne et les raisons de son tragique « succès » du moment.
Quels sont les effets de la cocaïne par rapport aux autres drogues ?
« La cocaïne a un effet psychotrope sur le cerveau, comme l’alcool ou le cannabis. Mais contrairement à l’alcool ou au cannabis, qui sont plutôt des ralentisseurs, la cocaïne stimule, elle accélère tout. »
Pourquoi dit-on que la cocaïne est une drogue insidieuse ?
« Parce que les consommateurs ont un sentiment de toute-puissance. Ils ne sont pas en capacité de s’estimer défaillants. Et pourtant, les réflexes sont perturbés, et la prise de risques augmente. »
Quels sont les risques au volant ?
« La cocaïne désinhibe et augmente donc l’imprudence. Le conducteur devient insouciant. Elle modifie la concentration mais aussi les effets de la fatigue. Parmi les drogues capables de causer le plus de dommages à soi et à autrui, la cocaïne arrive au deuxième rang, derrière l’alcool. La prise de psychostimulants, comme la cocaïne, maximise également la gravité des accidents. »
Dans le Puy-de-Dôme, « les conducteurs sous stupéfiant rattrapent ceux en état d’ivresse »
Pourquoi est-ce si difficile d’arrêter ?
« La cocaïne est une substance dopaminergique. Elle agit sur le neurotransmetteur des circuits de la récompense. Pour les gens qui ne sont pas malades, c’est inimaginable de penser que l’on puisse perdre le contrôle. Mais le cerveau du consommateur de cocaïne automatise le comportement et tout le ramène vers le produit. D’autant plus que la cocaïne est très souvent contextualisée à la fête, à la désinhibition, au sexe. »
À partir de quand perd-on le contrôle ?
« Ce n’est pas on/off. C’est très progressif… Plus on en prend longtemps, plus la dépendance s’installe. Il faut cependant prendre en compte trois critères : le produit bien sûr, mais aussi la personne et son environnement. S’agissant de la personne, les dépressifs, les anxieux, les gens qui ont subi des traumatismes auront plus facilement recours à la cocaïne pour soulager leurs difficultés personnelles. Et, malheureusement, ça marche… La cocaïne améliore sur le moment l’estime de soi.
L’environnement est aussi crucial. Avant, la cocaïne circulait dans les milieux de la Bourse et du show-biz. Depuis vingt ans, la consommation a été multipliée par quatre voire cinq. Aujourd’hui, elle est présente partout. Elle touche toutes les classes sociales. J’ai des chefs d’entreprise, des étudiants, mais aussi des gens en grande précarité. On est passé de 1 million à 30 millions de saisies. On l’a trop banalisée. »
Comment expliquer ce tragique “succès” de la cocaïne ?
« La cocaïne colle à l’époque. À l’heure actuelle, on demande aux gens d’être performants au travail, dans l’intimité… Et cette drogue dope l’estime de soi. Dans les années 1970, il fallait être zen, le cannabis était à la mode. »
Vos consultations pour addiction à la cocaïne ont-elles explosé ?
« En 2010, j’ai fait une année de recherche sur la cocaïne dans le milieu de la Bourse à Paris. À Clermont, on peinait pour trouver des patients. Aujourd’hui, un tiers de mes patients prennent de la coke. Beaucoup sont même polyconsommateurs. »
C’est pourtant une drogue qui coûte très cher ?
« Oui, 60 euros le gramme. Les gens se ruinent pour se la payer, alors ils revendent, se prostituent, se privent… »
Quelles sont les façons de la prendre ?
« Elle peut être sniffée, injectée ou fumée. Pour la fumer, il faut la transformer avec de l’ammoniac ou du bicarbonate de soude, les consommateurs disent qu’ils la “base”. Ce que l’on appelle le crack, c’est de la cocaïne basée. Les effets sont plus brutaux, plus immédiats. C’est un marqueur de gravité pour nous. Si la cocaïne sniffée donne un sentiment de puissance, à l’inverse la cocaïne fumée rend “stone”, hagard. »
Est-elle mortelle ?
« On a parfois décrit des surdosages, mais beaucoup moins qu’avec l’héroïne qui est un puissant sédatif. La cocaïne est un vasoconstricteur qui va agir sur le cerveau, le cœur qui se déshydrate et s’emballe. Les descentes de cocaïne sont insupportables, à tel point que les consommateurs prennent de l’alcool et de l’héroïne pour se soulager. »
Le Professeur Georges Brousse teste la nouvelle thérapie virtuelle aux côtés de Johan Colin, psychiatre addictologue, et Maryline Chalmeton, psychologue et attachée de recherche clinique. Photo Fred Marquet.
Peut-on se guérir de cette maladie car on parle bien d’une maladie ?
« Oui, dès que le contrôle est perdu, c’est une maladie. L’envie est insurmontable, les gens qui pensent que c’est facile d’arrêter se trompent. Ce sont des souffrances personnelles et familiales dramatiques. On a des accompagnements mais c’est très difficile. Environ 30 % des gens s’en sortent mais c’est très long. On essaie de les motiver et de réduire les risques, mais il n’existe pas de médicament. Il y a des pistes sur des vaccins mais ce n’est pas encore ça.
Comme la cocaïne pirate le circuit de la récompense, on va substituer au produit une autre récompense plutôt que l’abstinence. Les modèles classiques de punition ne fonctionnent pas sur un malade. Lorsque l’on parle d’amendes pour le consommateur, ce n’est pas efficace. Cela revient à punir quelqu’un qui va chercher une récompense. Mieux vaut tenter de réguler. Aujourd’hui, on travaille sur une thérapie nouvelle autour de la réalité virtuelle. On essaie d’œuvrer sur la gestion des envies. Mais cette drogue est insidieuse, vraiment terrible. »
Faut-il laisser le permis aux cocaïnomanes ?
« Vous imaginez supprimer le permis à tous les consommateurs d’alcool ou de cannabis ? L’addiction est une aliénation. Si elle impacte les autres, alors la société fera payer à l’individu son aliénation. La meilleure arme reste la prévention. »
Carole Eon