Accro depuis plus de 20 ans au crack, Antoine (prénom d’emprunt), lutte au quotidien pour se défaire de son addiction. Le trentenaire, qui réside à Lorient (Morbihan), témoigne des ravages de la cocaïne à fumer, qui l’ont conduit à frôler la mort. Récit d’une descente aux enfers.
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« Si j’avais eu de l’argent tout à l’heure, j’en aurais certainement acheté… L’envie est toujours présente, ça revient en permanence. » Antoine (prénom d’emprunt), 38 ans, revient de loin. Des paradis artificiels qui ont tout de l’enfer quand il fait le récit de plus de deux décennies d’accoutumance aux drogues dures. « Avec tout ce que j’ai pris, c’est un miracle que je sois encore là. »
Le trentenaire qui se tient face à nous, casquette vissée sur la tête et look d’éternel adolescent, est un survivant. Un rescapé arrivé à Lorient (Morbihan) en 2021, « pour fuir la drogue, les mauvaises fréquentations, et recommencer une nouvelle vie ». Sauver sa peau, surtout.
« Je consomme encore. Beaucoup moins qu’avant, mais ça m’arrive, une fois par mois, parfois une fois par semaine. Pour être honnête, j’ai fumé du crack il y a trois jours », livre-t-il avec franchise, lui qui se méfie des certitudes. Aussi parce qu’il sait que ce combat-là n’est jamais vraiment gagné.
Au plus fort de son addiction, Antoine s’injectait entre 10 et 12 grammes d’héroïne par jour. Et consommait « entre 5 et 10 grammes de cocaïne à fumer, du crack quoi ! Ça a duré un an ».
Le regard fixe mais expressif, il raconte le premier « pétard », à « 11, 12 ans. C’est flippant la première fois mais on reteste et on y prend goût ».
« Le gros flash qu’on oublie jamais »
Il évoque avec pudeur le garçonnet, issu d’une famille « carrée. Mon père était sévère », dit-il juste sobrement. Sa scolarité, dans des établissements privés catholiques, « avec des facilités, mais je n’aimais pas l’école. J’ai décroché à la fin du collège, aussi par ce que je fumais tous les jours ».
Livré à lui-même à 16 ans, « j’ai démarré les drogues dures ». Un premier « ecsta » en rave party. Suit « l’escalade » : la cocaïne « à sniffer », avant qu’une amie débarque un jour avec tout l’arsenal pour cuisiner la première « galette » de crack. Et à suivre, « le gros flash, une grosse montée, comme une sensation d’ivresse, de vertige, l’ouïe qui se déforme, le corps comme engourdi ». Celui « qu’on oublie jamais et qu’on recherche constamment après ».
À 17 ans, alors qu’il décroche une « bonne place » dans une exploitation maraîchère, « le crack et l’héroïne ont pris toute la place. Je pouvais rester cinq jours sans dormir et sans manger, à fumer tant qu’on en avait. Et pour redescendre, il me fallait l’héroïne ». À cette époque, il y laisse environ 2 000 € par mois. « Du coup, je revendais aussi pour gagner plus d’argent. »
« On tremble, on a froid, on se fait dessus »
À 21 ans, c’est la « chute libre ». Antoine perd son travail et commence à vendre en « grande quantité », jusqu’au jour où il est interpellé en possession de drogues. « Pendant la garde à vue, je ne pouvais même pas être auditionné tellement j’étais en manque. Ils m’ont envoyé en hôpital psychiatrique… »
Il livre avec sincérité les effets du sevrage. « C’est comme si nos os voulaient pousser, on tremble, on a froid, on se fait dessus… » Le retour chez ses parents, alors qu’il est sous traitement de substitution. « J’avais tout arrêté mais j’y pensais du matin au soir. » Et la rechute.
De 22 à 24 ans, Antoine vit dans la rue, consomme, vend, dort dans des squats « où tout le monde se pique ». Il témoigne des tentatives de sevrage successives. « Une semaine à rester enfermé dans une chambre avec juste de l’eau… À chaque fois que je remontais la pente, ça ne durait jamais trop longtemps. »
À Lorient, « on est inondé »
Antoine retrouve la rue, fait la manche, vole et cambriole des maisons. « Tout était bon pour acheter de la drogue », lâche-t-il avec désarroi. Une vie d’excès, faite d’allers-retours chez ses parents, en prison. Et comme trait d’union, la drogue.
Arrivé en 2021 à Lorient, « j’ai très vite repéré les points où ça consomme, on est forts pour ça… Mes parents, qui avaient déménagé dans le secteur, m’ont remis dehors. La cocaïne est si pure ici, on est inondé. » Au point de faire deux overdoses presque coup sur coup, en trois mois. Énième sevrage, suivi d’une cure où « je grugeais sur les prélèvements d’urine. J’ai fini à moitié clean… »
En contrat d’insertion professionnelle depuis le printemps 2023, Antoine avance désormais avec humilité. Le trentenaire sait que le combat n’est pas fini. « Mes parents ont été courageux de supporter tout ça. Aujourd’hui, ils ont plus de 75 ans, j’ai envie d’avancer, pour eux, pour moi… »