E. Letaillandier – Membre du C.N.P.E.R.T.

A l’origine il s’agissait d’une « prodrogue », la fénétylline, métabolisée dans l’organisme en
amphétamine et en théophylline, faisant qu’il est difficile de mettre sa consommation en évidence.
C’était un médicament psychotrope, fabriqué en Allemagne et commercialisé au début des années 60

Il était prescrit dans le cadre du traitement de troubles déficitaires, de l’attention et de la
narcolepsie.
Le captagon a tiré ses titres de gloire (?) quand on l’a assimilé à la drogue des djihadistes. Il aurait notamment servi, selon certains auteurs, à provoquer un état second chez les terroristes du
Bataclan à Paris.

L’écrivain Philippe SOLLERS, qui vient de disparaître, a reconnu l’avoir largement utilisé personnellement dans les années 70 grâce à des prescriptions de complaisance. C’est ainsi qu’il se vantait d’en consommer dans une interview parue dans TECHNIKART, en décembre 2015, sous le titre : « Captagon ? la descente est infernale ».

Il s’en justifiait ainsi :
« Mon attention a été attirée par le témoignage d’une otage au Bataclan qui a vu les assassins
achever les blessés sans aucun état d’âme. Ce n’est pas la peine de se perdre en idéologie : il faut les
voir, les imaginer, entrer dans leur tête, pour savoir ce qui se passe.

Cette otage a expliqué que l’assassin commençait sa descente. Or, bourré de captagon, je vous assure que la descente doit être infernale. Et qu’à ce moment-là, il vaut mieux en finir tout de suite : se faire exploser. Donc, ces pauvres types qui se sont fait manipuler et ont été envoyés pour faire le plus de dégâts possible, on connaît maintenant leur référence : un pur produit de chimie ».


Par contre, lui, Sollers, le malin, se tenait au-dessus de la mêlée : le captagon lui permettait
seulement, selon ses dires, d’écrire plus vite et… sans ponctuations, donc de gagner du temps ! Ce qu’il considérait comme une prouesse.
On pourrait en rester là de ces vantardises d’écrivain si l’actualité récente n’avait pas remis le
captagon sous les feux de l’actualité, avec la réintégration de l’autocrate de Damas, Hafez el Assad
dans le club très sélect de la Ligue Arabe.

Il ne nous appartient pas de faire de la géopolitique : nous avons déjà assez à faire au CNPERT avec la toxicologie sans nous aventurer dans un domaine que maîtrisent mieux les spécialistes en science politique. Il nous appartient toutefois d’informer nos lecteurs de quelques réalités sur l’usage de ce produit car rien n’est pire qu’une mentalité naïve qui nous mènerait à un déni de réalité.

C’est donc un fait que la Syrie est devenue un pays de production et de consommation de cette drogue. Ce pays se trouve parfois décrit comme « la république du captagon ». Il en était le premier producteur au monde dès la fin des années 2000, suivi par le Liban.
Selon certaines sources, la quantité de captagon qui y aurait été saisi a augmenté entre 6 et 21 fois entre 2011 et 2020.

En 2021, selon un rapport du New Lines Institute for Strategy and Policy, le chiffre des ventes
atteignait 5,7 milliards de dollars US sur la base des quantités qui ont pu être identifiées (420 millions
de pilules saisies).
C’est pourquoi aujourd’hui la Syrie peut effectivement être décrite comme un narco-Etat dans la
mesure où le revenu de la contrebande de drogue dépasse celui provenant de sources de revenus
légitimes.

Les méthodes de production de la drogue y ont largement gagné en sophistication ces dernières années, la Syrie passant de l’utilisation de laboratoires de petite taille ou de laboratoires mobiles à des laboratoires de taille industrielle et des installations de production dans les zones contrôlées par l’État.

En outre les ateliers de production de captagon peuvent parfois se trouver dans des zones militaires à accès restraint. Il est très probable que le captagon soit ainsi devenu la première source de devises
étrangères pour le régime syrien.

En difficulté face aux sanctions dont il fait l’objet, ce dernier voit ce trafic comme un moyen de survie économique et politique.
Le produit a envahi l’Arabie saoudite où il est apprécié comme drogue récréative – pour plus de 20 dollars (18 euros) la pilule – par la jeunesse dorée du pays. Son transit déstabilise fortement le Liban et la Jordanie pour laquelle c’est devenu un problème de sécurité nationale.

Ces pays, associés aux divers Emirats, auraient donc accepté de réintégrer la Syrie dans leurs rangs à condition que ce trafic soit désormais mieux contrôlé pour protéger la santé publique de leurs ressortissants.
Les dirigeants de ces pays auraient-ils saisi le message formulé en 2015 par P. SOLLERS  :
« Bourré de captagon, l’acte consistant à devenir roi du monde et à supprimer tout ce qui est humain
devient possible »
La question mérite d’être posée.

Sources :
https://www.frstrategie.org/publications/notes/un-narco-etat-moyen-orient-implication-regime-syrien-dans-trafic-captagon-2022
http://www.philippesollers.net/infini.html
https://www.ofdt.fr/index.php?cID=939
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-trafic-de-captagon-depasse-les-5-milliards-de-dollars-en-2021-20220405
https://atlantico.fr/article/decryptage/comment-la-syrie-est-devenue-un-narco-etat-drogue-captagon-guerre-economie-parallele-david-rigoulet-roze-1
https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/20/le-captagon-dope-le-narco-etat-syrien_6174103_3210.html