Professeur Jean Costentin Président du Centre National de Prévention, d’Etude et de Recherche sur les Toxicomanies (CNPERT) – Membre titulaire de l’académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Rouen
Conférence lors de la séance publique de cette académie, le 14 septembre 2013
Alors que la puissance publique, soumise à de fortes pressions idéologiques, vient d’autoriser l’instauration, à titre expérimental, de salles médicalisées pour l’injection de drogues aux toxicomanes, je me sens pressé d’exprimer, contre les vents médiatiques dominants, les nombreuses objections que soulève cette décision.
Pour en traiter dans sa globalité il parait souhaitable de situer ce sujet dans le contexte national et international des toxicomanies ; d’évoquer ensuite, afin d’y répondre, les principaux arguments avancés par les défenseurs de cette initiative et, enfin, de détailler les nombreuses raisons qui condamnent, sous les aspects de la logique, de l’éthique et de la pratique, ce qui correspond, non pas à une fausse bonne idée, mais à très vraie mauvaise idée.
I – Contexte national et international des toxicomanies
La situation des toxicomanies en France confine à un désastre, à un fiasco sanitaire, social et sociétal. Ce constat débute dès le niveau des deux drogues licites que sont le tabac et l’alcool, dont le nombre très élevé des consommateurs dépendants est, évidemment, lié à leur caractère licite.
Le tabac recrute ses adeptes, à partir d’un âge de plus en plus précoce. Quinze millions de nos concitoyens sont incapables de s’en détacher. Ceci survient en dépit du fait que le tabac ne perturbe ni le jugement, ni la personnalité, ni la volonté, ni les performances intellectuelles, alors qu’il n’attente pas à la capacité psychologique de s’en détacher. Cette situation résiste aux campagnes réitérées qui rappellent ses dangers, aux interdictions de sa consommation dans les lieux publics, à l’interdiction de sa vente aux mineurs (majoritairement non respectée), à son bannissement des cours de récréation, à la lutte contre le tabagisme passif, à l’augmentation substantielle de son prix, etc. Ce tabac est, chaque année, en France, responsable de 75.000 morts ; soit de 200 morts chaque jour ; il est la première cause de mort évitable ; un fumeur sur deux mourra d’une cause en relation avec sa consommation tabagique. Ceux qui n’en meurent pas, ne sont pas dispensés de nombreux troubles pouvant altérer leur qualité de vie. Citons : les amputations liées à l’artérite des membres inférieurs ; les stents implantés pour dilater les artères coronaires rétrécies dans l’angor ; les séquelles d’infarctus du myocarde non létaux ; les séquelles neurologiques d’accidents vasculaires cérébraux ; l’essoufflement permanent du patient ayant une broncho pneumopathie chronique obstructive (BPCO), etc. Ainsi le plaisir que peut faire éprouver le tabac parait d’un bien faible niveau comparé aux risques associés à sa consommation, avec ses voluptueuses volutes tueuses…
L’alcool, sous ses nombreuses déclinaisons, est un autre drame sociétal. Parmi ses diverses présentations, dénonçons celles destinées à piéger les plus jeunes ; ces « premix » qui dissimulent la saveur de l’alcool derrière les bulles de gaz carbonique, les saveurs sucrées et les parfums attrayants. Ce premier pli étant pris, viennent alors les alcools forts ; les « shooters », qui font atteindre la « zone gâchette », ce degré d’alcoolisation qui empêche de réguler une consommation ultérieure, qui s’envole alors vers les Vodka, Gin, Cognac, Calvados, Rhum… au service (sévices) des alcoolisations aigues ; la « biture expresse », le «binge drinking ». Le piège fonctionne hélas très bien. Une thèse, que j’ai dirigée en 2012, dénombrait les comas éthyliques déclarés par les étudiants de Lettre et ceux de Pharmacie de l’université de Rouen. Environ 10 % d’étudiants des deux premières années de ces facultés déclaraient avoir présenté un tel coma une fois dans l’année. Le pourcentage, lors de la quatrième année de ces études passait à 30% en pharmacie et à 24% en Lettres. Ce constat intervient alors que des études expérimentales montrent que les alcoolisations aigues chez les sujets jeunes ont des effets neurotoxiques pour leur cerveau en pleine phase de maturation et, de plus, qu’elles recrutent, avec une plus grande fréquence, une alcoolo-dépendance à l’âge adulte.
Quatre millions de nos concitoyens sont alcoolo-dépendants, je n’ai pas dis alcooliques. Ils sont en fait incapables, au moins un jour chaque semaine, de s’abstenir de la consommation de toute boisson contenant de l’alcool. Six pour cent de ces sujets alcoolo-dépendants consomment, à eux seuls, plus de trente pour cent de la totalité de l’alcool bu dans notre pays ; ceux là sont désignés, avec une connotation péjorative dont on devrait se détacher, les alcooliques. Il s’agit en effet de grands malades, qui se sont fait piéger par l’alcool, si présent dans nos traditions, rendu si tentant et si facilement disponible. Le conseil de modération que le lobby alcoolier feint de véhiculer ne parait pas, en toute logique, marqué du sceau de la sincérité car, s’il était effectivement suivi, il réduirait de plus d’un tiers son chiffre d’affaire…..
Une étude épidémiologique récente rend l’alcool responsable, en France, de 49.000 morts annuelles, soit près de 135 morts chaque jour. Là aussi, derrière ces chiffres qui déjà interpellent notre émotion et nos consciences, se profilent maintes détresses : handicaps d’accidents non mortels, femmes battues, enfants violentés, déchéance sociale, perte d’emploi, etc. La consommation d’alcool qui avait baissé de près de 50% au cours du demi siècle écoulé repart à la hausse ; en particulier sous l’impulsion du lobby alcoolier, qui s’applique à « détricoter » les heureux effets de la loi Evin, interdisant la publicité des boissons alcooliques.
Viennent ensuite les drogues illicites avec, en pole position, le chanvre indien / le cannabis. Cette drogue m’est particulièrement familière, après que je lui ai consacré des études expérimentales, quatre livres, de nombreuses revues et plusieurs centaines de conférences. Pour ne pas me laisser happer par cette focalisation d’attention, je l’évacuerais en trois phrases et quelques chiffres. Les français sont, en Europe, ses plus gros consommateurs, avec 1.700.000 usagers réguliers et plus de 650.000 usagers quotidiens / multi quotidiens ; 300.000 de nos gamins, entre 5ième et 3ième, au collège, s’en sont déjà approchés ; or « plus tôt l’essayer c’est plus vite l’adopter et plus intensément se détériorer ».
La liste impressionnante de ses fréquents méfaits physiques et psychiques ne dissuade toujours pas certains idéologues irresponsables de militer pour sa légalisation. Elle aurait inéluctablement pour effet d’accroître le nombre de ses consommateurs qui, à tout le moins, tendrait vers celui des alcoolo-dépendants et, pire encore, vers celui des fumeurs invétérés de tabac.
Sur l’échelle des toxicomanies le barreau situé au dessus de celui du cannabis est celui du chlorhydrate de cocaïne (la neige) sniffée, ou de la cocaïne base (le crack), inhalée ; ainsi que des amphétamines, dont la consommation s’accroit de façon inquiétante.
Le barreau encore au dessus est celui de l’accès aux morphiniques, via les « médicaments de substitution à l’héroïne », la méthadone et la buprénorphine à haut dosage ou Subutex®. De jeunes toxicophiles se les procurent à bas prix, puisqu’il s’agit de la revente d’un produit qui a été remboursé à l’héroïnomane par la sécurité sociale. Cette revente permet à l’héroïnomane d’acquérir sa chère héroïne. Ainsi, le Subutex®, d’un prix très élevé pour la collectivité, assure aux héroïnomanes la gratuité de leur héroïne et contamine aux opiacés de jeunes toxicophiles, qui n’étaient pas encore « addicts » à cette classe de drogues. L’entrée dans cette nouvelle addiction les incitera bientôt à accéder au plus haut barreau de cette échelle, celui de l’héroïne!
Indiquons aussi que le Subutex®, développé pour faire rompre l’héroïnomane avec le comportement injecteur et pour le prémunir des risques de contamination par les seringues, est désormais détourné, pour son injection par voie intraveineuse ! Voilà comment une bonne idée, mal gérée, peut contribuer à la ruine des comptes sociaux et à un véritable désastre sanitaire. L’enfer de la toxicomanie est décidément pavé de beaucoup de bonnes intentions (affichées du moins a priori comme telles).
Au sommet de l’échelle des toxicomanies, trône, on l’a dit, la plus détériorante de toutes les drogues, l’héroïne. Sa production, majoritairement Afghane, n’a cessé de s’accroître malgré la présence en Afghanistan d’une coalition militaire internationale ; elle ne manquera pas d’exploser après son prochain retrait. L’addiction à l’héroïne, en France, concerne près de 250.000 victimes.
Dans leur tentative de banalisation des drogues, certains se sont escrimés à contester la notion d’escalade. Cette contestation était indispensable au développement de leurs messages permissifs concernant l’occupation des barreaux du bas de l’échelle des toxicomanies ; en particulier celui du cannabis. Ces contestataires de l’escalade militent, de longue date, pour sa légalisation, n’hésitant même pas à le travestir en médicament ! Curieusement, ce sont souvent ces mêmes qui, aujourd’hui, découvrent le phénomène toxicomaniaque comme une entité, un continuum, dans lequel ils ne veulent plus que soient distinguées les drogues dites douces, des drogues dites dures. Ces mêmes qui, pour ne pas se déjuger, parlent désormais de poly toxicomanies. On leur fera remarquer que les poly toxicomanies qu’ils constatent sont encore plus graves que l’escalade qu’ils contestaient. Dans l’escalade on abandonne un barreau pour accéder à celui du dessus, puis au suivant. C’est-à-dire qu’on abandonne une drogue pour s’adonner à une autre, plus « puissante ». Dans les poly toxicomanies, par contre, on rajoute une drogue sans supprimer celles déjà consommées ; le toxicomane garde un pied sur le barreau alcool, pose l’autre sur le barreau cannabis ; il saisit d’une main le barreau cocaïne ou amphétamines et saisit de l’autre main le barreau héroïne. La revendication permanente du toxicomane s’exprime « toujours plus, toujours plus souvent, toujours plus fort ». Plus le comportement addictif se développe précocement et plus son empreinte est profonde et durable, confinant souvent à l’indélébilité (autant qu’à la débilité….).
Je conclurais ce propos introductif en insistant sur le fait que la France, plus que les autres pays Européens, est confrontée à une véritable pandémie toxicomaniaque, contre laquelle elle se défend moins bien que d’autres états. Comme partout ailleurs, on est très démuni quand il s’agit de faire rompre le toxicomane d’avec ses drogues, de le traiter, de le guérir. L’action doit donc porter très fortement sur la prévention. Disons, de façon métaphorique, que ne sachant extirper de la marmite de la drogue le toxicomane tombé au fond, l’essentiel de l’action doit s’exercer pour maintenir son couvercle bien fermé, afin de prévenir la chute d’autres victimes. Face à ces constat, il n’y a plus aucune place pour l’ignorance, l’indifférence et moins encore la complaisance ; plus aucune place non plus pour l’émission de messages brouillés, équivoques, et moins encore permissifs, comme celui véhiculé par les « salles de shoots » pour toxicomanes.
Intéressons nous maintenant aux infortunés malades égarés au sommet de l’échelle des toxicomanies, qui s’injectent leur drogue par voie intraveineuse (l’amphétamine, la cocaïne, la buprénorphine et, bien sûr et surtout, l’héroïne. Ces injections leur procurent le maximum des sensations qu’ils puissent ressentir, c’est le « shoot », le « flash », le « high » ; sorte d’arc électrique, de sensation pseudo-orgasmique.
Le comportement injecteur, par le prêt des aiguilles et des seringues contaminées par le sang du prêteur, a été grand pourvoyeur d’hépatites B, C et, pire encore, du SIDA. C’est pour réduire cette modalité de contamination qu’a été mis en place (à l’époque où madame M. Barzach était ministre de la Santé) un accès facile, voire gratuit, aux seringues et aiguilles (1987). Elles furent ensuite en vente libre dans les pharmacies, ainsi que les coffrets Stéribox (1994). Ces matériels sont même gratuits dans certains centres (« dispensaires de vie » ou « boutiques »). Ces dispositions ont porté des fruits en matière de réduction des risques infectieux, au point qu’aujourd’hui la contamination par le prêt de seringue est devenue insignifiante. On ne s’est pas appliqué à déterminer l’incidence de cette facilité sur le nombre de toxicomanes injecteurs.
La contamination virale est désormais surtout homo et hétéro-sexuelle. Elle peut concerner des toxicomanes qui, sous l’empire de leurs drogues, donnent libre cours à leur sexualité sans recourir à des préservatifs. Les salles de shoots n’y changeraient rien.
La nouvelle version du Stéribox comporte une cupule pour dissoudre la drogue, ce qui est opportun, mais aussi un filtre adaptable sur la seringue, afin de retenir les particules des comprimés sublinguaux de Subutex®, qui sont maintenant détournés de leur usage sublingual, pour faire l’objet d’injections intra veineuses. Voila donc un « médicament », développé pour permettre à l’héroïnomane de rompre avec son comportement injecteur et, partant, pour réduire les risques qui lui sont associés, qui est maintenant injecté par voie intra veineuse, dans le silence assourdissant des «addictologues patentés».
Une association de buprénorphine (Subutex®) et de naloxone, la Suboxone® est désormais disponible sur le marché français. Elle a été conçue pour rendre impossible le détournement par injection intraveineuse de la buprénorphine, car elle susciterait, chez celui qui se l’injecterait un syndrome d’abstinence, qui le dissuaderait de réitérer. Cette association a de plus l’avantage de réduire la constipation opiniâtre qu’induit souvent le Subutex® utilisé par la voie sublinguale (voie normale d’administration). Il a fallu, curieusement, beaucoup de temps pour que cette association apparaisse sur le marché français. Maintenant qu’elle y est présente, elle est, plus curieusement encore, boudée par nos addictologues prescripteurs, au point que le laboratoire envisagerait d’arrêter sa commercialisation en France. Pour compléter ces informations indiquons que les formes génériques du Subutex® ont du mal à prendre pied. Elles seraient moins faciles à injecter. Le coût du « Subu » pour les caisses d’assurance sociale est considérable ; situé en deuxième ligne du « hit parade » de tous les médicaments (prix unitaire multiplié par le nombre annuel de prescriptions). Le nombre de médecins qui le prescrivent est restreint. Chaque prescripteur reçoit ainsi chaque jour de nombreux toxicomanes, ce qui ne lui laisse évidemment pas le temps d’une prise en charge psychologique de ces patients qui en ont, pourtant, tellement besoin. Pour en terminer avec ce Subutex®, il faut savoir qu’il n’est jamais (ou presque) administré à doses dégressives, pour viser une abstinence complète, à plus ou moins long terme. Il est en fait administré, ad vitam, à dose fixe, quand ce n’est pas à doses croissantes. Cette pratique maintient chroniquement le patient dans un état de précarité, que la moindre « contrariété » fera replonger dans sa trop chère héroïne…. Réduction des risques, que d’erreurs graves, à des prix somptueux, on commet en ton nom.
II – Arguments avancés par les partisans de ces salles médicalisées d’injections de drogues aux toxicomanes (que nous désignerons « salles de shoots »)
A – Ces salles de shoots permettraient de réduire les risques de contamination associés au prêt du matériel d’injection
Nous avons dit que la politique de prévention du prêt des matériels d’injection est mise en œuvre depuis plus de 20 ans. Ce matériel abonde, au point que ses utilisateurs l’abandonnent parfois sur place, ce que devrait prévenir l’échange des seringues (une utilisée contre une neuve). Les toxicomanes accueillis dans ces salles de shoots auraient un si long passé de toxicomanie, qu’ils seraient contaminés de longue date s’ils n’avaient respecté depuis le début de leur pratique d’injection, cette règle élémentaire de l’absence du prêt de matériel d’injection. On ne veut quand même pas imaginer que dans l’esprit de leurs promoteurs les salles de shoots soient les C.P. (cours préparatoires) de l’injection des drogues, accueillant des novices afin de leur enseigner comment s’injecter proprement leurs drogues. Les contaminations virales déjà évoquées sont désormais principalement d’origine sexuelle. Les salles de shoots n’y changeraient rien ; elles n’empêcheraient pas qu’au sortir de celles-ci, sous l’empire de la drogue qu’ils viennent de s’injecter ou que l’on vient de leur injecter, les toxicomanes ne se livrent sans préservatifs à des ébats sexuels.
B – Ces salles amélioreraient le confort de ces injections
De fait, ces injections sont pratiquées à la sauvette, dans des conditions inconfortables, sous un porche, assis sur des marches, en se cachant sous des ponts ou des cages d’escalier. Le confort nouveau qui serait offert aux toxicomanes n’est pas de nature à les dissuader de poursuivre leur errance. La drogue, calme, au calme, au chaud, confortablement installé, avec le sourire de l’infirmière, et même un café et des biscuits en attendant, seraient autant d’attraits supplémentaires facilitant l’ancrage dans ce comportement. On sait, par contre, que sur un mode Pavlovien, l’inconfort associé à l’administration d’une drogue diminue l’appétence qu’elle suscite. C’est un des éléments forts qui préside à l’efficacité du « sevrage sec ». Une très douloureuse abstinence, incite le toxicomane à s’en souvenir et à hésiter davantage avant de renouer avec son addiction antérieure.
C – Ces salles amélioreraient l’image de la rue, du quartier.
S’il peut paraître, à certains égards, souhaitable de dissimuler de la vue des enfants le pitoyable spectacle de ces pauvres épaves humaines, affalées sous des porches, on peut aussi mettre en balance l’efficacité pédagogique de l’horreur que pourrait susciter ces pratiques toxicomaniaques. En Suède, pays exemplaire pour la maîtrise des toxicomanies, on apprend dès la maternelle aux bambins, à trembler à l’audition du mot drogue comme à celle du mot loup…
Les seringues et les aiguille qui trainent sur les trottoirs ou dans les espaces verts doivent faire l’objet de mises en garde auprès des enfants. Dans ces quartiers une vigilance redoublée des cantonniers peut pallier cette situation. De plus, par le biais du don d’une seringue neuve en échange de la restitution d’une seringue déjà utilisée, ces seringues usagées abandonnées devraient être rares; très en deçà de la médiatisation qui en est faite pour justifier ces salles de shoots.
D – Ces salles assainiraient l’ambiance du quartier.
Qui peut raisonnablement imaginer que ces salles de shoots purifieraient l’ambiance du quartier ? En tous cas pas les riverains du quartier de la Gare du Nord à Paris, qui se mobilisent pour qu’une telle salle de shoots ne leur soit infligée. Une « votation citoyenne », organisée sur ce thème, a exprimé un rejet total, à une écrasante majorité. Ces riverains savent qu’une telle salle concentrera les toxicomanes qui viendront la fréquenter. Dans une des salles installée en Suisse, le nombre de passages quotidiens autorisés à un même toxicomane est limité (si j’ose dire) à six. De ces salles de shoots ressortent des individus apaisés, tirés par leur chien, dans un état d’équilibre postural et psychique très variable d’un sujet à l’autre et d’une dose à l’autre. Comme il est prévu, en l’état du projet, que le toxicomane accédera à la salle de shoots avec sa drogue, elle lui sera proposée à l’extérieur ; ainsi, outre les toxicomanes, le quartier concentrera également les dealers. Il est déjà été exprimé que la police ne viendrait pas troubler par sa présence la quiétude du négoce…
E- Ces salles permettraient de capter les toxicomanes très marginalisés pour les introduire dans des filières de prise en charge.
Ce serait donc la stratégie de grains jeté aux moineaux, pour les attirer, afin de leur faire tomber le filet sur la tête. Cette stratégie feint d’ignorer la multitude d’autres filets qui, à prix d’or, ont été mis en place ; nous nous limiterons à les énumérer :
-Les CAARUD : Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (135 étaient recensés en 2010) ;
-Les CSAPA : Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (il y en a plus de 260) ;
-les CCAA, centres de cures ambulatoires en alcoologie, qui ont vocation à devenir des CSAPA (ils sont 250, ce qui fera 510 CSAPA) ;
-Les centres spécialisés de soins aux toxicomanes en milieu pénitentiaire ;
-Les hébergements d’urgence ou de transition ;
-Les réseaux d’appartements thérapeutiques ;
-Les réseaux de familles d’accueil ;
-Les unités d’hospitalisation spécifiques pour toxicomanes (hospitaliers) avec leurs lits de sevrage ;
-Les dispensaires de vie ou « boutiques » ;
-Les « sleep-in » ……Ajoutons à cela
– Les centres type Croix Rouge ;
-Les centres de dispensation de la méthadone, ainsi que les « bus méthadone » qui vont à la rencontre des utilisateurs ;
– La très large dispensation de la buprénorphine à haut dosage, la BDH, illustrée par le Subutex®, le « Subu » et ses génériques….
Tous ces dispositifs sont, on s’en doute, d’un coût énorme. Un certain nombre de ces dispositifs sont privés, ce qui ne les empêche pas de bénéficier de subventions de l’Etat, qui ne contrôle manifestement pas ce qu’ils en font. Ainsi, l’association Asud (Autosupport des usagers de drogues) bénéficie d’une subvention annuelle de 230.000 € ; émanant de la direction générale de la santé (DGS), de l’institut de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de la direction francilienne des affaires sanitaires et sociales, du conseil régional d’Ile de France. Son logo, de façon non équivoque, est une seringue. Asud fait, sur son site internet, en totale contravention à la loi, la promotion de la culture du cannabis ; elle prodigue des conseils pour accroître sa productivité. « Cerise sur le gâteau », une de ses très récentes publications (août 2012) teste, d’une façon comparative, à l’usage de ses lecteurs, les charmes de 50 drogues différentes….
Accepter ces salles de shoots revient à admettre l’inutilité des dispositifs ruineux mis en place en amont. « Quand il n’y en a jamais assez, il faut se poser la question de savoir si l’on n’en a pas fait trop ». Avant d’aboutir à ce constat de faillite que serait le recours à cette extrémité des salles de shoots, il est indispensable de se livrer à une analyse minutieuse et détaillée de tous ces dispositifs, de revoir leur cahier des charges, de s’assurer du respect de celui-ci, de la qualité des acteurs impliqués, de leurs actions, de leurs coûts et de leurs résultats.
F – Ces salles de shoots fonctionneraient à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs autres pays
Parmi les états concernés : La Suisse (12 centres en 8 villes) ; l’Allemagne (25 en 16 villes), l’Espagne (6 en 3 villes), l’Australie (1) ; le Canada (1) ; le Luxembourg (1) ; la Norvège (1); celui qui vient en tête est la Hollande (avec 45 centres en 4 villes).
Ces pays n’ont pas mis en place l’énorme et ruineux dispositif dont la France s’est dotée (tel qu’on l’a présenté). Dès lors on conçoit que n’ayant pas fait grand-chose pour leurs toxicomanes, soit venu pour eux le moment ultime où il leur a bien fallu faire quelque chose. C’est ainsi que l’on peut comprendre cette extrémité des salles de shoots à laquelle ils ont dû se résoudre. En l’occurrence l’exemple français devrait beaucoup plus utilement les inspirer, que nous ne devrions nous aligner sur leurs carences.
G – Ces salles de shoots auraient un caractère expérimental.
Encore un bel exemple de manipulation de l’opinion. Ne pouvant nous faire avaler la couleuvre d’un seul trait, elle nous est découpée en rondelles. Notre pays n’a pas la culture de l’expérimentation. Tout ce qu’il écrit, surtout au terme d’un débat houleux, se retrouve gravé dans le marbre. En France, le char de l’état ne dispose pas de marche arrière. Voyez, par exemple, la « méthode globale » pour l’apprentissage de la lecture, l’âge de départ en retraite, les horaires scolaires, les 35 heures hebdomadaires de travail, etc.) ;sitôt dit et définitivement écrit.
Puisque ces dispositifs des salles de shoots existent à l’étranger, il n’est pas utile de refaire chez nous l’expérience. Une démarche qui se pare de prétentions scientifiques ne saurait consister à refaire les expériences d’autrui. On doit s’appliquer à les analyser soigneusement, objectivement, sans se laisser influencer par l’autosatisfaction de ses organisateurs (organisateurs de galas conçus au profit des organisateurs de galas) ; en mettant cette analyse en perspective avec les autres dispositifs. On l’a déjà dit, nous n’avons rien à apprendre des pays qui n’ont pas bâti ni investi autant que nous l’avons fait pour les toxicomanes. Notre effort nouveau doit se porter sur l’analyse des insuffisances et des ratées de notre dispositif. Ces insuffisances doivent être nombreuses puisque ce très complexe et très couteux dispositif n’est pas parvenu à prévenir ce qu’il devait empêcher. L’activité des addictologues les plus tonitruants pour requérir ces salles de shoots devrait être analysée d’une façon aussi urgente que prioritaire, en s’aidant de beaucoup de regards extérieurs. Ce sujet dépasse les limites de l’autogestion, de l’autosatisfaction et des petits arrangements entre amis.
III – Nos propres arguments, au delà de la réponse à ceux d’autrui.
A – Au plan de la logique médicale,
On ne saurait se départir de la logique médicale qui tient pour proprement aberrant le fait d’administrer à un patient le toxique, qui est à l’origine de son intoxication, c’est-à-dire à l’origine de cette maladie très grave qu’est l’héroïnomanie.
B – Au plan de l’éthique médicale,
Il convient de rappeler qu’en prêtant le serment d’Hippocrate, à l’issue de la soutenance de sa thèse, le jeune docteur en médecine s’engage à ce qu’au cours de sa carrière médicale, ses compétences ne serviront pas à corrompre les mœurs. Or ces salles de shoots seraient de très mauvais signaux envoyés aux plus jeunes, dédramatisant, banalisant l’image des drogues, conduisant, comme on va le voir, à la dépénalisation et à la légalisation rampante des drogues.
C – Au plan de la responsabilité médicale
Autre facette de « l’enfumage » de l’opinion, le toxicomane arriverait dans ces salles de shoots avec sa drogue. Dans ces conditions le médecin superviserait, voire même procéderait à l’administration intra-veineuse d’un produit dont il ne connait pas la nature, dont il ne connait pas la concentration ; or on sait combien ces drogues, par le jeu de coupages successifs, sont adultérées par des ingrédients variés, qui ajoutent à la drogue leur propre toxicité. Le médecin accepterait que soit effectuée l’injection parentérale de substances qui ne seraient ni stériles ni apyrogènes.
– Le toxicomane, rassuré par un environnement médicalisé, serait tenté d’aller vers les plus hautes doses de drogues ; donnant libre cours à son « toujours plus, toujours plus souvent, toujours plus fort ». Ainsi, le rôle du médecin consisterait à être présent sous la fenêtre ouverte du suicidaire pour rattraper celui qui en saute. Cela ne correspond pas aux objectifs de ceux qui s’engagent dans la filière médicale, animés qu’ils sont par une vocation au service de la guérison…
– Qui serait alors responsable des overdoses / surdoses, voire des décès survenus dans ces lieux ?
– Si au sortir de la salle de shoots, sous l’empire de la drogue injectée, le toxicomane se livrait à une exaction, qui en serait responsable ? Il pourrait, sur les conseils d’un avocat, se retourner vers la salle de shoots, en soulignant que c’est là qu’on l’a mis dans un état dans lequel il ne pouvait plus rien maîtriser.
– Bien vite ces médecins des salles de shoots, voudront disposer d’une héroïne de qualité médicale, pure, stérile, apyrogène… Mais avec quel argent l’acquerrait le toxicomane qui ne pourrait plus compter sur ses opérations de coupage pour prélever sa dime au passage ? Bientôt il faudra la lui offrir, comme on le fait déjà pour la méthadone ou pour le Subutex®! Ainsi se trouverait exaucé le vœu suprême de l’héroïnomane : « Ma drogue, de qualité optimale, dans la quantité que je veux, à la fréquence que je veux, gratis, au calme, au chaud, bien installé, avec le sourire de l’infirmière et une petite collation ». On ne voit rien de dissuasif dans tout cela qui puisse l’inciter à rompre avec le comportement toxicomaniaque injecteur, et moins encore avec la drogue. Cela aurait même un évident effet d’appel. On verrait bientôt le « Guide du camé », s’enrichir, sinon d’étoiles comme au Michelin, mais, plus prosaïquement, de seringues, pour comparer ses salles de shoots…
D – Au plan de la loi actuelle.
Comment la puissance publique pourrait elle accepter, eu égard à la loi qui interdit l’importation, le commerce, la détention, l’utilisation des drogues, qu’en des lieux financés par ses deniers (nos impôts) ces drogues puissent être vendues librement à l’entour et librement utilisées à l’intérieur. Ces squats de la santé, décidés et financés par la puissance publique, contreviennent à la loi (l’association « Parents contre la drogue » présidée par S. Lebigot vient d’ailleurs de porter plainte contre le premier ministre et la ministre de la Santé, responsables de l’autorisation d’ouverture de ces salles de shoots). Ces salles de shoots préparent la suppression de la loi sur la répression des drogues. Certains de ceux qui militent pour ces salles de shoots, ne se cachent pas de requérir la légalisation de toutes les drogues. Ces salles sont un de leurs subterfuges pour faire progresser cette légalisation. Ils mettent cette légalisation en relation avec ce qu’ils présentent complaisamment comme l’exemple Portugais. S’il fallait trouver un véritable exemple, il serait opportun d’aller le chercher beaucoup plus au Nord, en Suède. Grâce à une législation dont la rigueur ne diffère pas beaucoup de la nôtre, mais qui est expliquée et justifiée par une pédagogie intense (près de 40 heures d’enseignements dispensés depuis la maternelle jusqu’à l’université), ce pays peut s’enorgueillir de compter (en proportion bien sûr) 10 fois moins de toxicomanes que la moyenne européenne. « Où il y a une volonté il y a un chemin », mais où prévalent l’ignorance, l’indifférence, les non dits, les mal dits, l’enfumage, l’entortillage, les postures, les habiletés, les complaisances, les démissions, on atteints aux chiffres calamiteux des toxicomanies exposés en introduction. A l’instar du credo des toxicomanes qui s’exprime « toujours plus, toujours plus souvent, toujours plus fort », celui des tenants de ces salles de shoots et de la légalisation des drogues s’exprime, « mais que pourrait-on faire de pire encore sur la voie de la décrépitude sociale et humaine ». Leur déconstruction systématique, leur destruction résolue des dispositifs mis en place, s’opère alors même qu’ils ne prévoient que ces salles de shoots, comme abri de fortune pour les sinistrés qu’ils engendrent.
E – Au plan du coût
Pour assurer le fonctionnement de telles salles de shoots, 24h / 24, jours, fêtes, dimanches, autres jours fériés et vacances, car la toxicomanie n’en connait pas, quatre équipes devraient être opérationnelles. Chacune d’elles devrait être composée d’un médecin addictologue, formé à la réanimation, de deux infirmières, d’un agent de sécurité, d’une aide soignante, d’un quart temps de psychologue, d’un quart temps d’assistante sociale (soit pour les salaires environ 1.200.000 € par an) ; un appartement de 10 pièces (3 bureaux, deux salles d’injections, une cuisine, deux salles de repos, une infirmerie avec du matériel de réanimation, une salle de bain, un vestiaire, trois parkings, un chenil), incluant le matériel consommable, les produits de santé, les aliments, le téléphone, le chauffage, l’amortissement du matériel… le coût estimé par salle et par an est d’environ 1.250.000 €uros. Dans l’hypothèse où serait installée une telle salle pour 300.000 habitants, cela requerrait, pour la France entière, 220 salles de shoots, et pour le budget de la nation 275.000.000 d’€uros. Dans cette période de récession économique, où de nombreuses demandes de moyens ne peuvent être satisfaites, où l’on s’efforce d’effectuer des économies pour tempérer l’accroissement d’une dette devenue abyssale, alors que les moyens consacrés à la prévention des toxicomanies sont jugés insignifiants et de plus mal ciblés et mal utilisés, une telle dépense supplémentaire s’avère impossible à assumer. Quant à l’emprunter aux dispositifs mis en place en amont, cela les affaiblirait et augmenterait, à terme, le nombre de toxicomanes à accueillir dans ces salles de shoots….
F – Qui sont les défenseurs de l’instauration de ces salles de shoots
L’activisme d’addictologues très médiatisés qui militent avec véhémence pour ces salles de shoots est intéressant à considérer. Ils n’ont pas prévenu les pouvoirs publics des menaces que font peser les toxicomanies pour notre société. Ils se sont appliqués à occulter la montée du péril toxicomaniaque, ils ont commenté, pour en affaiblir la portée, ses chiffres inquiétants. On ne les a jamais vu, ni entendu, s’investir dans des démarches de prévention ; au contraire ils portent souvent la contradiction à ceux qui, bénévolement, dépensent beaucoup d’énergie pour suppléer leurs carences. Ils les ont accusés de « diaboliser » les drogues, de « stigmatiser » leurs consommateurs ; ils en ont fait les suppôts d’idéologies ringardes, réactionnaires. Ces mêmes addictologues, après avoir prôné la dépénalisation, chausse pied de la légalisation du cannabis, afin de la faire progresser se sont jetés, voracement, sur le fantasme du cannabis médicament ; prétendant que l’on privait des malades de cette irremplaçable thérapeutique dans des pathologies d’ailleurs complètement en dehors de leur sphère d’expertise. Au lieu d’agir contre la diffusion et les dégâts de l’alcool et du tabac, ils se servent de leur dangerosité, comme comparateurs, pour prôner la légalisation du cannabis et au-delà de toutes les drogues. Alors qu’ils sont d’une inquiétante inefficacité dans la guérison des toxicomanes, ils ne cessent de réclamer des moyens supplémentaires, tandis que par leur attitude ils abondent le vivier des sujets malades des drogues. Ils sont d’une discrétion totale sur les détournements de la buprénorphine, que leurs prescriptions favorisent. Ces détournements ont pour effet de recruter beaucoup de nouveaux adeptes des morphiniques, qui seront bientôt ceux de l’héroïne. Ce sont eux, encore, qui n’utilisent jamais cette buprénorphine à doses dégressives pour viser l’abstinence. Ils maintiennent ainsi « leurs » toxicomanes dans un état de précarité qui peut les refaire basculer à tout moment dans l’héroïnomanie. Ils semblent ignorer l’efficacité des « sevrages secs » (sans produits de substitution). Ils sont d’une discrétion étonnante sur le détournement de la buprénorphine utilisée à des fins injectables, alors qu’elle a été conçue pour faire rompre l’héroïnomane avec son comportement injecteur. Ils sont enfin ceux qui militent, avec le plus de véhémence et de pugnacité, pour l’ouverture des salles de shoots. Si l’on recherche une cohérence entre tous leurs choix, elle apparait diabolique. Elle pose avec acuité le problème de leur adéquation aux missions qui leur sont assignées : prévenir, traiter, guérir les toxico manies. En l’occurrence on a l’impression qu’ils s’escriment à faire de la pathologie qu’ils ont à traiter, la plus importante de toutes, en fréquence et en gravité, dans notre société déjà malade de tant d’autres maux.
Au prétexte de la réduction des risques, la puissance publique s’apprête à commettre deux exactions majeures :
- – l’envoi de signaux de banalisation des drogues, préalable à leur légalisation, avec en perspective le débordement, à la façon d’un tsunami, du lit déjà très large dans lequel elles circulent.
- – l’ancrage des toxicomanes dans leur toxicomanie, rendue plus aisée, plus confortable ; on voit même se dessiner, à court terme, « l’héroïne médicale » gratuite.
« Il n’est de richesse que d’Homme », en bonne santé, physique et psychique, ni « shooté », ni « camé », ni « paumé » ; avec une bonne estime de soi, conscient d’occuper une place dans la société dont il est un acteur, où il produit plus que ce qu’il consomme, afin de venir en aide à ceux qui ne peuvent encore ou qui ne peuvent pas, ou qui ne peuvent plus produire ce qu’ils consomment.
Avant de créer une strate supplémentaire à l’usine à gaz déjà bâtie pour la prise en charge des toxicomanies, il est urgent de la revisiter, afin d’optimiser son coût et son efficacité. La toxicomanie est une affaire trop grave pour être abandonnée à des addictologues victimes du « syndrome de Stockholm », devenus les otages indument empathiques des patients qu’ils n’ont pas su traiter.
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