Dans l’échelle des toxicomanies, briser le barreau du tabac éloignera de l’addiction à d’autres drogues
Pr. Jean Costentin
Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les errements des humains Le tabac (puisqu’il faut l’appeler par son nom) Capable d’enrichir, les industriels qui le produisent faisait aux Hommes la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : (détournement de J. de La Fontaine)
Deux attitudes s’opposent : combattre le tabagisme, pour empêcher les adolescents d’y accéder ou, au contraire, faciliter l’accès au cannabis par sa légalisation. Agir résolument contre le tabagisme préservera d’abord nos concitoyens de sa létalité effroyable.
En effet, le tabac est, avant l’alcool, la toute première cause de mort évitable : 13 millions des nôtres, qui pourtant n’ignorent rien de ses dangers, s’y adonnent ;
75 000 d’entre eux en meurent chaque année ; la cigarette est ainsi le mode le plus commun de suicide (les « cartouches de cigarettes » sont ainsi une expression à double sens). Comme dans la fable des animaux malades de la peste, les fumeurs n’en meurent pas tous, mais tous sont frappés (au moins à un certain degré).
Les handicaps nombreux dont ils sont victimes pour beaucoup ne sont pas anodins ; ils altèrent leur qualité de vie, le confort de la fin de leur existence et, de plus, obèrent les comptes sociaux.
L’addiction à la nicotine du tabac est si rapide et son abandon si difficile, qu’il faut empêcher qu’il y ait une première fois, ou du moins que cette expérimentation soit la plus tardive possible.
Les 13 millions de nos concitoyens qui s’y sont laissé prendre ne parviennent pas à s’en détacher. Un fumeur sur deux mourra de son tabagisme ; aucunproduit en vente libre dans le commerce n’a de conséquences aussi désastreuses.
Le président de la République, l’an passé, lors de la journée du cancer, a exprimé sa détermination que 2032 voit apparaitre en France la première génération sans tabac.
Excellente initiative, mais dont, hélas, on ne voit pas les mesures qui permettrontd’atteindre cet objectif.
C’est au niveau du tabac qu’il faut situer, chez nos jeunes, le niveau de leur transgression vers d’autres drogues et non pas, comme actuellement, au niveau du cannabis. Un niveau pourtant que des idéologues (dont des addictologues à contre-emploi) voudraient, par sa légalisation, situer à encore plus haut niveau, ceux de la cocaïne, des amphétamines, de l’ecstasy, des cathinones et même, pendant qu’ils y sont, au niveau des morphiniques.
Le cannabis est porté sur les épaules du tabac, support végétal de la combustion desa résine (haschisch/shit). Encore plus délétère que le tabac, le cannabis y ajoute ses méfaits propres. A sa toxicité physique, assez semblable, il ajoute ses méfaits psychiques (ivresse, désinhibition, amotivation, crétinisation…) qui souvent débordent dans le domaine psychiatrique (anxiété, dépression, psychose aigue, schizophrénie…).
N’oublions pas parmi ses méfaits ceux qui survivent durablement à son élimination complète de l’organisme et qui sont liés à des mécanismes épigénétiques.
Ces mécanismes opérant au niveau des gamètes des consommateurs, font que certaines des modifications induites peuvent être transmises à leur progéniture avec des conséquences variées : malformations, autisme, déficits cognitifs, schizophrénie et, pour ce qui nous intéresse ici, une plus grande vulnérabilité aux toxicomanies qui s’exprimera à l’adolescence, en relation avec une raréfaction des récepteurs dopaminergiques D 2 dans le noyau accumbens.
L’exposition au cannabis/THC, par un mécanisme épigénétique, intensifie les effets de récompense /appétitifs de la cocaïne ainsi que ceux des morphiniques. Le sujet cannabinophile qui expérimente ces deux drogues les perçoit d’emblée avec une grande intensité, qui l’incite très vite à y recourir à nouveau, à en user, à en abuser et ainsi à en devenir dépendant.
L’usage régulier d’une drogue amoindrit ses effets. La tolérance qui s’installe, incite à accroitre ses doses et la fréquence de son usage, pour maintenir à un niveau élevé la transmission dopaminergique dans le noyau accumbens.
Quand ces palliatifs ne suffisent plus le consommateur y ajoute une drogue plus « puissante », pour laquelle une tolérance jouera bientôt, faisant ajouter une troisième drogue, etc… Ce cheminement peut aboutir aux morphiniques (plus de 200 000 héroïnomanes en France, en attendant l’arrivée des
fentanyloïdes, responsables de 100 000 décès aux U.S.A. en 2023).
Pour empêcher cetteascension morbide de l’échelle des toxicomanies il faut en briser les premiers barreaux, pour tenter au moins de différer cette ascension au-delà de l’adolescence.
L’adolescence est une période de très grande vulnérabilité, car plus tôt les drogues sont expérimentées, plus vite elles sont adoptées et plus intenses sont les détériorations subséquentes.
Durant cette période le cortex préfrontal, aux effets répresseurs des compulsions, se connecte progressivement avec le reste du cerveau. L’adolescence correspond à la phase de maturation cérébrale (12 à 24 ans), que perturbe notablement le cannabis/THC, en caricaturant la fonction subtile des endocannabinoïdes (via les récepteurs CB 1 ), impliqués dans le bon déroulement de cette maturation.
L’adolescence est la période critique des apprentissages, de l’acquisition d’une culture, des ambitions, de l’élaboration des projets professionnels et de vie ; bref, le plus mauvais moment pour cette rencontre avec le cannabis.
Lutter contre le tabagisme c’est aussi lutter contre le cannabis et contre toutes les autres toxicomanies.