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ADDICTIONS Faisant des ravages sur le continent américain, « la xylazine a été retrouvée de manière anecdotique en France », rassure Michaël Bisch, psychiatre addictologue et vice-président de la Fédération Française d’Addictologie

Des milliers de personnes dépendantes à la tranq se regroupent dans certains quartiers de Philadelphie, en Pennsylvanie, aux Etats-Unis, notamment près de Kensington Avenue.
Des milliers de personnes dépendantes à la tranq se regroupent dans certains quartiers de Philadelphie, en Pennsylvanie, aux Etats-Unis, notamment près de Kensington Avenue. — Teun Voeten
  • Pour former la « tranq » ou « tranq dope », la xylazine, un médicament anesthésiant pour les animaux, est accompagnée de fentanyl, un antidouleur de synthèse. « Un combo ultra-dangereux », selon Michaël Bisch, psychiatre addictologue.
  • Alors qu’elle fait des ravages aux Etats-Unis, « la xylazine a été retrouvée de manière anecdotique en France », tient à rassurer Michaël Bisch.
  • « Je ne pense pas qu’une crise d’ampleur de la xylazine arrivera en France », estime, optimiste, Philippe Batel, professeur d’addictologie. On le voit bien avec le Fentanyl et les opioïdes, il n’y a pas de crise comparable à celle qui a lieu aux Etats-Unis. »

Des silhouettes gisant dans les rues ou effectuant des mouvements saccadés et désordonnés. Vous avez peut-être vu passer ces nombreuses vidéos se déroulant aux Etats-Unis et montrant des personnes – probablement – sous l’effet de la xylazine, aussi appelée « drogue du zombie ». Un médicament anesthésiant pour les animaux autorisé dans l’Hexagone pour les vétérinaires. Pour former la « tranq » ou « tranq dope », ce produit est accompagné de fentanyl, un antidouleur de synthèse cinquante fois plus puissant que l’héroïne. « Un combo ultra-dangereux », selon Michaël Bisch, psychiatre addictologue et vice-président de la Fédération Française d’Addictologie.

Ce cocktail aux lourds effets sédatifs cause des nécroses pouvant mener à l’amputation. Il est également extrêmement mortel car, contrairement aux opioïdes, ne répond pas à la naloxone, l’antidote contre les surdoses. La substance fait actuellement des ravages sur le continent américain, notamment à Philadelphie et à San Francisco. Mais qu’en est-il en France ?

Une présence anecdotique en France

De nombreuses vidéos faisant état de cas dans l’Hexagone, notamment à Toulouse, ont été massivement relayées sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. S’il était facile de vérifier que ces images avaient en réalité été filmées aux Etats-Unis, la tranq est-elle pour autant absente de notre pays ? « La xylazine a été retrouvée de manière anecdotique en France », tient à rassurer Michaël Bisch. Dans un rapport de 2021, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) remarque que « par deux fois, de la xylazine a été identifiée dans des héroïnes collectées et achetées à différents endroits de la métropole lyonnaise. »

Petite parenthèse : la xylazine sert souvent d’adultérant, c’est-à-dire de produit de coupe, comme le paracétamol codéiné ou la caféine, à l’héroïne (qui ne contient en réalité que 0 à 20 % d’héroïne).

Aucune trace dans les réseaux d’identification des substances

« La présence de xylazine n’est pas observée sur le territoire national à travers le Système d’identification national des toxiques et des substances (Sintes) piloté par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), nous informe par ailleurs ce même OFDT. Sa consommation reste confinée aux Etats-Unis à ce jour. »

Les centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A), qui permettent de faire une veille sur les produits basée sur les déclarations des professionnels de santé et confirmés par des analyses biologiques, n’ont également pas remarqué la présence de xylazine sur le marché français.

Aucune trace non plus sur l’application « KnowDrugs », plateforme créée par des usagers permettant de recenser les éventuelles substances indésirables et effets inattendus de drogues. Toutefois, cette application étant plutôt utilisée pour analyser l’ecstasy, cela peut expliquer l’absence de xylazine, plutôt présente dans des produits tels que l’héroïne.

Un risque d’arrivée en France ?

Si sa présence reste donc très anecdotique aujourd’hui dans l’Hexagone, risque-t-elle d’y faire son arrivée dans les prochaines années ? « Il y a toujours cette vieille rumeur de nouvelle drogue du zombie », se désole Philippe Batel, professeur d’addictologie, coprésident du comité scientifique de SOS Addiction et chef de service en addictologie en Charente. « II y a dix ans, avec l’arrivée des cathinones, comme la 3-MMC, aux Etats-Unis, il s’est passé la même chose. Des vidéos passaient en boucle avec des patients hagards, dans un état second. On pensait même qu’ils étaient anthropophages. On nageait en plein délire. » Aujourd’hui, ces drogues comme la 3-MMC sont « utilisées en France, mais dans un milieu récréatif ou dans un contexte sexuel. » Bien loin des images véhiculées dans les vidéos.

« On a le cas du crack, dont la consommation a débuté aux Etats-Unis puis qui est arrivé vingt ans après en France, illustre Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l’Inserm. Mais ce n’est pas parce qu’à un moment, une drogue s’est exportée en France, que ça va arriver pour la tranq. » La spécialiste cite l’exemple de la méthamphétamine, très présente sur le continent américain mais qui reste à des niveaux de consommation extrêmement faibles en France.

« Je ne pense pas qu’une crise d’ampleur de la xylazine arrivera en France », résume Philippe Batel. On le voit bien avec le fentanyl et les opioïdes, il n’y a pas de crise comparable à celle qui a lieu aux Etats-Unis. » Selon l’OFDT, la diffusion des fentanyloïdes dans la population française restait « marginale » en octobre 2021.

Des situations pas comparables

« Ce qui se passe aux Etats-Unis est très préoccupant, mais les situations française et américaine sont incomparables », tient à préciser Marie Jauffret-Roustide. Non seulement les produits qui circulent ne sont pas les mêmes, mais la société est aussi très différente. « Les Etats-Unis, et plus particulièrement une ville comme Philadelphie, sont traversées par d’immenses inégalités sociales, beaucoup plus que n’importe quelle ville française. » De plus, en France, la prise en charge pour soigner les addictions est financée par l’Etat, contrairement aux Etats-Unis où les dispositifs sont privés.

Mais le vice-président de la Fédération Française d’Addictologie est un peu moins optimiste. Selon lui, il n’y a aucune raison que les narcotrafiquants ne cherchent pas à conquérir de nouveaux marchés. « La vigilance est nécessaire sans être alarmiste et catastrophiste », estime l’addictologue, qui tient toutefois à différencier les systèmes américain et français. « La crise des opioïdes aux Etats-Unis est liée au modèle ultralibéral américain, avec des prescriptions massives d’opiacés par les médecins. »

Des mesures prises en France

La France a ainsi pris les devants. Les médicaments à base de codéine et autres dérivés de l’opium, autrefois en vente libre sont, depuis 2017 et un arrêté de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, seulement délivrés sur prescription médicale. « En France, on a une crise de fentanyl moindre parce qu’on l’a prévenue », considère le médecin.

Et le gouvernement actuel reste sur la même lancée. Le 20 juin, les députés ont voté un projet de loi autorisant les douanes à saisir des substances chimiques pourtant autorisées mais pouvant être utilisées dans la fabrication de drogues de synthèse. Comme la xylazine.

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