
La MILDECA a pour mission de lutter contre toutes les addictions. © Thierry LINDAUER
L’affaire Palmade a mis sur le devant de la scène la problématique de la drogue en France. La MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) supervise la prévention des toxicomanies. Entretien avec son président, le docteur Nicolas Prisse.
Quelle est la situation en termes d’addictions et notamment auprès des jeunes ?
« D’après des enquêtes de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, l’usage de cannabis est en net recul : 9,1 % des élèves de 3e l’ont expérimenté en 2021, soit presque trois fois moins qu’en 2010 (23,9 %). En ce qui concerne la cocaïne, il n’y a pas de nouveaux chiffres comparatifs pour l’instant (les derniers datent de 2017, ndlr), mais il faut noter que 2,7 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté la cocaïne en 2017. Chez les 18-64 ans, 5,6 % l’ont expérimenté et 1,6 % sont des usagers dans l’année. La consommation de ce type de drogue, qui est nul doute en augmentation, n’est pas inéluctable, mais l’affaire est sérieuse. »
Pêche miraculeuse de plus de deux tonnes de cocaïne sur une plage de la Manche
Quelles sont les solutions apportées par le gouvernement ?
« Nous mettons en place des actions dont la stratégie est d’éviter tous les types d’addiction, sans cibler une drogue en particulier. Nous réalisons des programmes de prévention fondés sur le renforcement des compétences psychosociales au sein des établissements scolaires. L’idée est que les jeunes se sentent mieux avec eux-mêmes, mieux avec les autres et avec leur environnement. Ils développent ainsi leur confiance en eux, un certain esprit critique et la capacité de dire non. Ces programmes sont adaptés en fonction de l’âge des élèves. »
Ces programmes font aussi de la prévention…
« Tout à fait, ils ont aussi pour ambition d’informer sur les dangers de la consommation de toutes les substances addictives. Par exemple, il est important de rappeler que le cannabis d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui qui circulait il y a trente ans. Il est 3 à 4 fois plus concentré et il génère des troubles graves. Il peut engendrer des répercussions sur les cerveaux des adolescents qui sont en construction. »
Quelles sont les mesures pour lutter spécifiquement contre la cocaïne ?
« Il y a tout d’abord l’action du gouvernement avec la lutte contre tous les trafics. Nous n’avons jamais saisi autant de cocaïne ces derniers temps. Même si la production et la circulation de ce stupéfiant ont augmenté, le travail des forces de l’ordre est encore plus efficace. Ensuite, nous avons choisi une communication ciblée auprès de groupes à risque.
Nous avons élaboré un partenariat avec des lycées professionnels de la restauration. Le dispositif ESPER a aussi été lancé auprès d’entreprises, organisations, associations (etc.) afin de lutter contre les conduites addictives en milieu professionnel et de sensibiliser les employeurs sur les risques psycho-sociaux et le bien-être au travail. Nous collaborons également avec le collège de médecine générale et d’autres professionnels de santé afin que chacun puisse agir en conséquence. »
Photo d’illustration SALESSE Florian
Marie Jauffret-Roustide : « Prévenir et moins moraliser les consommateurs »
Marie Jauffret-Roustide est sociologue, chercheuse à l’INSERM et spécialiste de la politique de lutte contre les drogues.
» Notre pays est le 2e d’Europe sur 34, où l’on consomme le plus de cannabis, alors même que nous avons une des politiques les plus répressives du continent. Cela montre que la répression ne marche pas, c’est contre productif. Pour exemple, au Portugal, qui a dépénalisé l’usage de toutes les drogues en 2001, on constate qu’il y a trois fois moins de consommateurs de cannabis que dans l’Hexagone, d’après l’Observatoire européen des drogues « , détaille Marie Jauffret-Roustide.
Cette sociologue souligne qu’en France, les consommateurs sont stigmatisés et accusés d’être à l’origine de nombreux maux alors qu’il serait plus utile de les sensibiliser sur les risques sanitaires encourus en consommant ce type de substance. « Il faudrait une approche moins moralisatrice. Prenez l’exemple du tabac. Il n’est pas interdit, mais sa vente est encadrée par la loi avec une prévention prononcée comme les images chocs sur les paquets de cigarettes. Du fait qu’il ne soit pas prohibé, il est aussi moins tabou d’en parler, notamment pour les jeunes avec leurs parents. »
L’exemple du Canada
En octobre 2018, le Canada a créé un cadre juridique strict pour contrôler la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis.
» Sa consommation est interdite aux moins de 21 ans et la vente de ce produit à des mineurs est fortement réprimée par la loi, plus qu’en France. L’idée est de punir le trafic et non les consommateurs. La vente est contrôlée par le pays et l’argent collecté est réinvesti dans la prévention et la prise en charge des personnes au comportement addictif. »
La sociologue rappelle également que si les drogues doivent être une préoccupation majeure, il est nécessaire d’êtres très vigilant sur d’autres substances comme l’alcool. Elle précise qu’ »un jeune sur 2 de 17 ans a connu au moins une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois d’après l’OFDT. «
Stéphanie Merzet