La loi de modernisation de notre système de santé promulguée le 26 janvier 2016 prévoit l’expérimentation de salles dites « de consommation à moindre risque ». Deux salles sont d’ores et déjà programmées : l’une à Paris et l’autre à Strasbourg.
Dans la capitale, Madame Marisol Touraine, ministre de la Santé, a trouvé à ses côtés deux fervents défenseurs d’un tel projet : M. Rémi Féraud, maire du 10e arrondissement et l’association Gaïa qui sera gestionnaire de la salle parisienne. Le lieu d’implantation est aujourd’hui retenu : rue Ambroise Paré dans un local de l’hôpital Lariboisière, à deux pas de la Gare du Nord, haut lieu de trafic et transit en tous genres. Sa date d’ouverture est prévue pour l’automne 2016.
La situation à Paris
La décision d’implanter cette salle dans un quartier où vivent et travaillent familles avec enfants en bas âge, adolescents, personnes âgées, commerçants et artisans, a été prise par M. Féraud sans aucune concertation, aucun dialogue affirment les résidents de cette partie du 10e. C’est ce que les habitants du quartier de La Chapelle lui avaient déjà très vivement reproché lorsqu’il s’était agi d’une installation à leurs portes. Grâce à leur mobilisation, ils ont fait reculer le maire.
« Aujourd’hui, c’est rue Ambroise Paré ! Et M. Féraud ne tient compte d’aucune de nos doléances et d’aucun de nos arguments contre cette implantation, nous sommes face à un déni de démocratie caractérisé » déclare en colère ce riverain, père de deux enfants scolarisés à l’école du coin.
Et il n’est pas le seul à contester ce fait accompli, puisque la pétition contre ce projet a déjà réuni près de 800 signataires et qu’un collectif s’est constitué pour défendre les intérêts des citoyens : « M. Féraud et l’association Gaïa ont à cœur la santé physique et mentale des toxicomanes, soit. Mais qu’en est-il de notre droit le plus élémentaire à la sérénité et à la sécurité, dans un quartier déjà particulièrement délaissé par les pouvoirs publics ? » s’interroge ce commerçant. À quoi ajoute une membre du collectif : « L’implantation de la salle dans l’enceinte de Lariboisière ne signifie pas du tout qu’elle sera placée sous le contrôle médical de cet hôpital. Au contraire, une partie du personnel de l’établissement est hostile au projet, mais comme fonctionnaires, ils sont tenus par le devoir de réserve. C’est donc un faux-semblant destiné à leurrer les habitants du quartier sur la prétendue sécurité médicale de la salle ».
Sécurité justement : « qu’en sera-t-il des moyens de la police, alors que celle-ci est appelée à d’autres missions de première importance suite aux attentats de 2015 ? » interroge cette habitante qui fait état des nombreuses agressions physiques graves, commises par des toxicomanes contre des habitants du quartier. Rien n’est clair ni garanti sur ce point. Pire, souligne ce membre du collectif : un document de l’association Gaïa indique explicitement qu’il est prévu « un agent de sécurité de sécurité si budget ». Toujours selon ce document : la salle sera ouverte 7 jours sur 7 à raison de 7 heures par jour et sera encadrée par 4 éducateurs, 1 infirmier, 1 assistante sociale et un médecin en vacation à mi-temps, pour un accueil anonyme de 400 passages de toxicomanes par jour, dans un espace d’injection de 10 places et un espace d’inhalation de 4 places. Au vu de ces chiffres, l’inquiétude et la colère des riverains ne peut que monter.
En outre, ceux-ci contestent aussi le fait que cette salle sera mitoyenne de la maternité de l’hôpital Lariboisière : « comment peut-on concevoir un tel projet ! Mettre côte à côte une maternité et une salle de shoot, il faut le faire ! » s’indigne une jeune femme, elle-même enceinte. L’association Gaïa a eu beau organiser une réunion d’information pour rassurer les riverains voire pour les associer à son action, elle a pu mesurer que l’adhésion qu’elle souhaitait obtenir était très loin d’être acquise. « Sans compter l’action menée par cette association en faveur des toxicomanes dans deux autres structures qu’elle gère depuis plusieurs années ne permet absolument pas de penser que son action est efficace.
Au contraire, le rapport 2014 de Gaïa, disponible sur son site, fait clairement apparaître les risques qui guettent les habitants avec l’ouverture de cette salle » objecte cette membre du collectif. Voilà pour les éléments de contexte à Paris.
Mais qu’en est-il sur le fond ? Qu’en est-il du principe même de l’ouverture de ce type de salles pudiquement appelées « salles de consommation à moindre risque » (SCMR) ?
Une définition biaisée
Tout d’abord, en clair et en langage moins châtié il s’agit de salles de shoot : la définition est d’emblée biaisée, car l’indication qu’il s’agit de drogues illicites (cannabis, cocaïne, crack, héroïne, autres opiacées, etc.) est passée totalement sous silence.
Des données fragmentaires recueillies de manière sélective
Les organisations ou intervenants favorables ou acquis d’avance à l’ouverture des salles de shoot ne s’appuient que sur des données fragmentaires recueillies de manière sélective. Ils ne mentionnent jamais les arguments développés par les opposants en France (Associations de parents, Académie de médecine, Ordre des médecins, Ordre des pharmaciens, etc..), ou dans des congrès sur la drogue à l’étranger, dont les actes sont pourtant le plus souvent disponibles. Les expériences faites à l’étranger (Pays-Bas, Allemagne, Sydney, Vancouver, Genève, etc..) sont présentées sous un jour favorable, alors que les critiques négatives sont systématiquement passées sous silence. Il existe pourtant des documents contestant ou réfutant les conclusions des rapports officiels consacrés à ces « structures ». C’est le cas notamment à Sydney, où le local de Kings Cross suscite de sévères critiques.
L’argument sanitaire
Il est particulièrement grave et pervers d’affirmer qu’une salle de shoot permet de diminuer le risque d’infection d’hépatite B et C ou de VIH pour les toxicomanes. En France, le rapport de l’INSERM publié en 2010 le confirme « on ne peut tirer de conclusions sur une influence spécifique des salles d’injection sur l’incidence du VIH ou du VHC (hépatite C) »
C’est donc un leurre. La consommation dans les salles de shoot ne remplacera pas la consommation « sauvage ». Elle s’y ajoutera, contribuant ainsi à un accroissement de la consommation. De fait, cette salle ne sera pas ouverte 24h/24h. Le toxicomane n’a pas d’horaire de bureau pour consommer sa drogue, il ne planifie pas ses injections ou inhalations. Il se pique ou inhale quand il en éprouve le besoin. Ce besoin, chez le cocaïnomane, est si compulsif qu’il nécessite jusqu’à trente injections par jour. Donc la majorité des shoots se feront hors contrôle.
Le nombre de seringues abandonnées dans les rues ou halls d’immeubles ne va donc pas diminuer, à moins d’installer des salles de shoot tous les 200 mètres et de les tenir ouvertes jour et nuit. De plus, il n’existe aucun lien avéré entre la présence de salles de shoot et la réduction du nombre d’overdoses. À Zürich, qui compte plusieurs salles de shoot depuis les années 1990, le nombre d’overdoses est passé de 45 en 1999 à 63 en 2005 par exemple. À Sydney, basé sur les chiffres des overdoses publiés par le centre d’injection médicalement supervisé (MSIC) le taux d’overdoses dans la salle de shoot s’avère 36 fois plus élevé que dans les rues de King Cross (quartier où est installée la salle).
L’argument de l’ordre public
Pense-t-on vraiment éviter les rassemblements de toxicomanes et de dealers autour de la Gare du Nord, dans les rues commerçantes ou d’habitation, comme le promettent la main sur le cœur nos responsables politiques tels Marisol Touraine et Rémi Féraud, et l’association Gaïa ? La réalité est connue : tout endroit qui facilite ou qui autorise la consommation de stupéfiants est un puissant signal pour les dealers. Ils accourront des environs, compris au sens large. Les expériences faites à Genève de ce point de vue sont significatives. Les toxicomanes se rendent inévitablement là où se trouvent les dealers. Le résultat est programmé : une augmentation de la population de toxicomanes et de dealers à proximité immédiate de la salle de shoot. Ils hanteront les rues, les halls et caves d’immeubles proches. Résultats garantis : criminalité en hausse, agressions, vols, insécurité, bagarres, règlements de comptes.
Une salle de shoot revient ainsi à être une zone de non-droit où la consommation de drogues illicites est liée, dans les parages immédiats, au trafic de drogues. Comme toute initiative qui « positive » la consommation de stupéfiants, la facilite et la banalise, c’est un puissant signal pour les trafiquants. Un local d’injection complique le travail de la police. S’il observe un « deal », le policier ne peut plus recueillir le témoignage du client pour confondre le trafiquant, car la consigne donnée aux forces de l’ordre est de ne pas « stresser » les consommateurs dans la salle de shoot et dans ses parages.
Une légalisation de fait des stupéfiants
Madame Touraine et ses amis font totalement l’impasse sur les documents et prises de position de l’ECAD (European Cities Against Drugs), organisation qui regroupe de nombreuses grandes villes européennes. Résolument opposée à l’ouverture de « shootoirs », l’ECAD relève dans une contribution consacrée aux salles de shoot que « si et lorsque des autorités décident tacitement ou expressément que la police ne doit pas intervenir contre les atteintes à la loi sur les stupéfiants dans une salle de shoot ou à proximité (ce qui sera bien le cas à Paris et à Strasbourg), la légalisation de la consommation de drogues est un fait… Dans la pratique, les salles de shoot sont des espaces où les lois sur les stupéfiants, en vigueur partout ailleurs dans la société, sont nulles et non avenues ».
Une infraction aux traités internationaux
D’un point de vue juridique, l’existence de salles de shoot constitue aussi une infraction aux traités internationaux relatifs au contrôle des drogues, en particulier à l’article 4 de la Convention de 1961 qui fait obligation aux États de veiller à limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques, la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants. Dans son Rapport 2005 paru le 1er mars 2006, l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), à Vienne, rappelle comme il le fait chaque année que les salles de shoot contreviennent à ce principe fondamental des traités relatifs au contrôle des drogues puisqu’ils « facilitent l’utilisation illicite de substances placées sous contrôle international ».
Les efforts de prévention compromis
À juste titre les parents et tous ceux qui d’une manière ou d’une autre sont chargés d’exercer l’autorité sur les plus jeunes, leur disent et leur répètent que la consommation de stupéfiants est mauvaise, dégradante, dangereuse, mortelle. Et voilà que les autorités publiques font en sorte de la faciliter, de la rendre « confortable ». Quelle incohérence dans les messages ! Le premier pilier, celui de la prévention, sera ébranlé par un message aussi incohérent. Ajoutons que les professionnels des thérapies axées sur l’abstinence estiment que l’installation confortable des toxicomanes dans leur dépendance leur enlève toute motivation pour entreprendre un sevrage et un traitement de réhabilitation.
Dans un contexte social français particulièrement tendu, en raison de décisions ou projets de loi initiés par nos gouvernants, qui ne recueillent pas l’adhésion des citoyens et n’ont pas fait l’objet de concertation véritable avec les partenaires sociaux et les associations citoyennes, les pouvoirs publics seraient bien inspirés de prendre le temps de l’écoute et de la réflexion avant de mettre en œuvre ce projet de salle de shoot aventureux et risqué.
Serge Lebigot est l’auteur de : Cannabis : ce que les parents doivent savoir ; Le dossier noir du cannabis ; Salles de shoot : ce qu’ils refusent de vous dire. Son site web.
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