Par le Professeur  Jean Costentin Président du CNPERT

1) Pour réduire les craintes soulevées par l’actuel projet, il n’est fait état que d’expérimentation à réaliser en France. Mais, puisque des essais sont pratiqués dans neuf Etats à travers le monde, dans plus de 80 salles, pourquoi ne pas attendre la publication de leurs résultats, pour les analyser de façon critique, les mettant en perspectives avec divers autres aspects importants des toxicomanies ? Entrouvrir imprudemment de telles portes, dans ce contexte gravissime, risque leur ouverture définitive.

 2) Le grand argument des prosélytes, consommateurs ou non de ces drogues, est de lutter contre la propagation du SIDA et des hépatites virales. Rappelons qu’il existe, depuis longtemps, un libre accès et même, en certains lieux, une gratuité des seringues servant à pratiquer ces injections toxiques. Lorsque des héroïnomanes gravement dépendants accéderaient à ces salles, les virus de ces affections auraient déjà atteint ceux qui négligent toute attitude prophylactique ; cette contamination hélas fréquente intervenant précocement dans le parcours du toxicomane.

 3) Institutionnaliser ces salles d’injections biaiserait davantage l’image des drogues puisque, sous tutelle médicale, elles s’apparenteraient à des médicaments. C’est là un procédé habituel de désinformation des prosélytes des drogues ; il se développe aux Etats-Unis avec le cannabis présenté comme un médicament, afin d’en assurer l’essor. La jeunesse de notre pays doit bénéficier sur les toxicomanies d’une pédagogie claire et, pour reprendre son expression, « sans embrouille ».

En organisant ces salles d’injection, on pratiquerait, de façon toute officielle, une désobéissance à la loi, puisque les drogues illicites, c’est-à-dire interdites (héroïne, cocaïne…) y seraient administrées dans des structures officiellement organisées, gérées et financées par les pouvoirs publics, supervisées par des médecins et des infirmier(e)s, appointés par des deniers publics, en des zones de non droit… Le ministère de la santé français créerait ainsi des « squats de la santé », où ne s’exerceraient plus les lois de la République !

4) Pour endormir l’opinion, il est souligné que les toxicomanes apporteraient leur drogue, les autorités de santé se contentant, sous l’autorité de médecins et de leurs collaborateurs professionnels, d’offrir le gîte, le couvert et le service. Mais quel médecin accepterait de présider à l’administration de drogues de pureté incertaine, quand on sait combien les drogues qui circulent actuellement  sont additionnées d’ingrédients variés et parfois toxiques ? Alors, bientôt, seraient vendues, sur place, des drogues d’une pureté irréprochable – le terme d’« héroïne médicale » a déjà été utilisé… Mais pour les acquérir le toxicomane ne pourrait plus jouer du « coupage » habituel qui lui permet de prélever sa dîme lors de la revente d’une partie de la drogue qu’il a achetée. Il faudrait donc la lui offrir, comme la méthadone et la buprénorphine à haut dosage (Subutex®). Ainsi se trouveraient exaucées les dernières exigences de l’héroïnomane : la liberté d’accès et la gratuité de sa chère héroïne.

5) On s’émeut du manque de moyens dévolus à la prévention des toxicomanies, mais des crédits pourraient être brusquement dégagés au service de cette abdication médicale et sociétale, pour satisfaire, enfin, ces dernières exigences du toxicomane.

6) Une émission télévisée récente mettait en exergue le désordre et la saleté créés par la pratique des injections de drogues, dans certains quartiers. La solution de ces désagréments pour les riverains passe plus sûrement par l’intervention de la police et/ou des éboueurs que par l’afflux régulier de toxicomanes vers ces « salles de shoot ».

7) La réduction des risques infectieux ne doit pas conduire à l’installation du confort des addictions, sous peine de les voir exploser. Le toxicomane effectue un malencontreux arbitrage entre les effets aversifs et les effets appétitifs des drogues. Diminuer ces premiers (par la légalisation de l’usage des drogues et par le confort de leur administration) reviendrait à accroître les seconds (le « shoot, à volonté, calme, au calme, sous le regard bienveillant des bailleurs de fonds »…) aboutirait à transformer en autoroutes les sentiers encore escarpés de la toxicomanie.

Nulle intoxication ne saurait être guérie par le produit qui l’a créée. L’objectif à privilégier, c’est le sevrage, en s’aidant, entre autres moyens, de produits de substitution, à doses progressivement dégressives (méthadone, buprénorphine à haut dosage), en étant toutefois très attentif à empêcher les importants détournements constatés qui, outre qu’ils contribuent à recruter de nouveaux adeptes des agents morphiniques, permettent à l’héroïnomane, aux frais de la Sécurité sociale, d’acquérir sa chère héroïne.

Le toxicomane a abdiqué sa volonté et ses désirs sont exacerbés. L’urgence est de l’aider à en reprendre les commandes, de lui faire partager cette conviction qu’on peut le guérir et que l’on s’en donne les moyens, en se gardant bien de leur détournement trop fréquent. L’empathie nécessaire pour sa prise en charge ne saurait être une abdication, une coupable démagogie, un renoncement à cet objectif authentiquement médical et sociétal.