La réforme de la politique pénale voulue par le président de la République en matière d’usage de stupéfiants a trouvé ses soutiens. Et fait des déçus, concomitamment. A l’issue des auditions menées au cours des deux dernières semaines par la mission d’information parlementaire sur la mise en place d’une amende forfaitaire en cas d’usage de stupéfiants, une ligne de partage se dessine. Et avec elle, les limites d’une réforme qui s’annonce comme un rendez-vous forcément manqué.

D’un côté, les forces de l’ordre plébiscitent l’idée de pouvoir infliger une amende au fumeur de cannabis sur la voie publique, sans avoir à recourir aux offices d’un magistrat. Ce scénario présente le double avantage de les dispenser des lourdeurs de la procédure actuelle et de leur permettre de retrouver l’intérêt d’une sanction immédiate. La police consacrerait un million d’heures chaque année au seul traitement de l’usage de stupéfiants.

D’un autre côté, les acteurs du monde de la justice, de la santé ou encore les représentants d’usagers font part de leurs réserves les plus marquées. Ils reprochent notamment au projet gouvernemental de se priver d’une approche sanitaire et sociale du problème. Car une réponse standardisée sous la forme d’une amende empêche d’imaginer une orientation vers le soin (déjà marginale en matière de réponse pénale à l’usage de cannabis).

Face à ces frustrations, les deux rapporteurs de la mission, Eric Poulliat, député (La  République en marche) de la Gironde, et Robin Reda, député (Les Républicains) de l’Essonne, ont semblé, au cours des échanges, fort à l’étroit dans le périmètre de leurs attributions.  » Je pense que vous avez bien compris que la mission qui nous a été commandée, c’est d’analyser un dispositif en particulier, qui, on le conçoit bien d’ailleurs, peut paraître réducteur « , a concédé Robin Reda au cours des débats.

L’amende forfaitaire, telle que voulue par Emmanuel Macron, ne saurait enrayer l’échec de la politique pénale en vigueur depuis 1970. Près de 200 000  personnes sont interpellées chaque année pour infraction à la législation sur les stupéfiants ; 80  % d’entre elles sont des consommateurs, principalement de cannabis. Si l’usage est sévèrement puni par le code de la santé publique – un an de prison et 3 750  euros d’amende -, dans les faits, il débouche majoritairement sur des alternatives aux poursuites, essentiellement des rappels à la loi, à des fins de désengorgement de la justice.

Surtout, cette législation n’endigue pas des niveaux élevés de consommation, frôlant les sommets en Europe. Il y aurait 1,4  million d’usagers réguliers de cannabis en France, et 700 000  consommateurs quotidiens, d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Les jeunes sont particulièrement concernés, car le cannabis est le produit illicite le plus précocement expérimenté. A 17  ans, près d’un jeune sur deux en a déjà fumé.

Mais le projet d’amende forfaitaire ne les concerne pas, puisque les mineurs relèvent d’une justice spécifique. Emmanuel Macron fait donc une première impasse. Le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), Nicolas Prisse, s’est pourtant fait fort de rappeler aux rapporteurs de la mission parlementaire que c’est  » la prévention et le repérage précoce des jeunes les plus vulnérables qui est le levier le plus efficace pour limiter la consommation de stupéfiants « .

Eviter un procès en laxisme

Le gouvernement ne semble en réalité pas avoir l’intention de bouleverser l’édifice de la politique pénale en vigueur. Le délit d’usage, puni de prison, serait maintenu – ceci afin que les contrevenants en récidive soient orientés vers le circuit judiciaire classique et que les policiers et gendarmes conservent le pouvoir de placer en garde à vue les usagers interpellés, même si, selon un avis largement partagé, cela sert peu, voire pas du tout, au démantèlement des réseaux de trafic. En n’allant pas au bout d’une dépénalisation de l’usage, M.  Macron ne cherche-t-il pas d’abord, et surtout, à éviter un procès en laxisme ?

Une centaine de personnes sont actuellement incarcérées en France pour usage simple.  » Nos prisons n’ont pas besoin de ce genre d’infracteurs « , a martelé, lors de son audition, Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), favorable à une dépénalisation plus poussée.  » N’est poursuivie et condamnée qu’une catégorie sociale d’usagers, a-t-elle souligné. Jamais des comédiens ou des lycéens d’Henri-IV n’ont été condamnés. C’est une atteinte très lourde au principe d’égalité. « 

L’amende forfaitaire présente par ailleurs plusieurs dangers. Jean-Paul Jean, ex-président de chambre à la Cour de cassation, s’est inquiété, lors de son audition, de ce qu’elle constitue un  » transfert majeur «  de la politique criminelle de la justice à la police – et à  » des agents verbalisateurs qui sont dans des rapports difficiles avec les jeunes «  et qui pourraient tomber dans  » la facilité de la politique du chiffre « . L’impact de ce mouvement qui touche à l’équilibre des pouvoirs mérite d’être analysé, d’autant plus que M.  Macron a promis d’étendre le principe de l’amende forfaitaire à d’autres délits. Demain, des amendes forfaitaires pourraient s’appliquer au vol à l’étalage, à la vente à la sauvette ou encore au vandalisme.  » C’est une forme de basculement, une administrativisation de la justice pénale « , a insisté M.  Jean. Un risque élevé pour une réforme qui, in fine, pourrait n’être perçue que comme un outil au seul bénéfice d’une simplification des procédures ou d’une augmentation des recettes de l’Etat.

Julia Pascual

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