Si le tout-répressif en matière de drogues est une impasse, la légalisation n’a rien d’une solution idéale, comme le prouvent les exemples étrangers ou l’essor de la cocaïne.

La drogue, je connais… 

Cannabis, cocaïne, MDMA, peyotl, morphine, et j’en passe. 

Au fil des années, pour de bons et de très mauvais prétextes. Au fil des années, parfois pour répondre à la douleur nue, au handicap et aux aléas d’une vie davantage sortie des pages d’un roman que d’une froide réalité. Au fil des années pour oublier les coups, les viols, les traumas, les décès et ce diagnostic sans issue ni importance qui se cache derrière le syndrome borderline, qui semble être concomitant aux addictions… 

Au fil des années jusqu’à la rédemption, qui ne résout pourtant rien, parce que toute addiction est si vite remplacée par une autre, parce que le café, la cigarette et l’apéro ne sont que les avatars légaux des stupéfiants dont le parfum d’interdit se dissipe vite, ne laissant plus que s’installer le triste face à face avec la dépendance. 

La drogue, eux, ils ne connaissent pas, ou trop peu.  

Pourtant ce sont eux qui en parlent, légifèrent et qui jugent. 

Politiciens éloignés des réalités, médecins plus ou moins empathiques, services sociaux décharnés, souvent superbes de nudité impliquée, parfois exaspérants d’idéologie, pouvoir judiciaire dépassé, exsangue, et parfois trop perméable aux interprétations politiques. 

Ce sont eux qui ont à traiter des questions de dépénalisation, de légalisation, de répression, ou à organiser le statu quo, tandis que les forces de l’ordre gèrent l’impossible, dans un perpétuel salut à Sisyphe. 

En matière de drogue, et particulièrement concernant le cannabis, les expériences se multiplient, les échecs aussi, et nul n’est en mesure de savoir placer le curseur entre la carotte et le bâton, pour la simple et bonne raison qu’un juste équilibre sera toujours impossible à trouver avant la résolution de certains problèmes sociaux et sociétaux, propres à notre temps, à commencer par la peur d’un avenir sans horizon et de la perte de sens qui irrigue une époque ultra individualiste et concurrentielle. Le crime et la drogue prolifèrent sur le mal être et la tentation, la tentation se nourrit du vide de sens et d’utilité…. et la drogue à son tour refabrique du vide en aspirant l’âme des consommateurs. 

Des dizaines de milliers « d’emplois »

La légalisation est-elle la plus mauvaise solution à l’exception des toutes les autres, ou un pire parmi les autres ? 

De quoi s’agirait-il donc, si ce n’est d’une défaite des plus amères ? Jusqu’où peut aller la logique mortifère considérant que si un produit illégal et dangereux – parce que oui, le cannabis l’est dangereux, à l’image d’autres drogues et produits jugés plus sévèrement – est massivement consommé, il doit être légalisé ? C’est un puits sans fond… 

Réfléchissons bien et regardons s’ouvrir la boite de Pandore.  

Jeunes, en nombre, et moins jeunes, consomment en masse du cannabis, nourrissant un marché parallèle fondé sur un banditisme des plus violents, mais assurant des dizaines de milliers « d’emplois », faisant vivre des quartiers entiers et générant, en France, un chiffre d’affaire de près de 3,5 milliards d’euros selon l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies). Rien que cette phrase révèle son lot de problématiques qui sont autant de casse-têtes. 

C’est un secret de polichinelle que les autorités ne peuvent trahir trop ouvertement. L’une des craintes liées à une éventuelle légalisation, supposée entraîner un assèchement de la criminalité, notamment dans les cités, tient à la possible explosion de celles-ci, par la suppression de dizaines de milliers de boulots plus ou moins bien rémunérés qu’elle provoquerait. Dans des environnements déjà précaires, où l’échec scolaire est endémique et les mentalités gangrenés par la ghettoïsation, nulle mesure ne pourrait rapidement permettre aux populations concernées de combler un manque à gagner qui est pour beaucoup le salaire de la survie. Loin des revenus mirifiques des trafiquants qui occupent le haut de la pyramide économique du secteur, la plupart des « salariés » du cannabis, sont des « intérimaires » qui jouent les petites mains en échange de pourboires aux montants variables. D’une certaine manière, aussi cynique soit-il de l’écrire, le statu quo est censé assurer une forme de paix sociale, même s’il s’agit toujours de reculer pour mieux sauter. 

Un très relatif assèchement du marché criminel

Pourtant, les choses ne se passeront pas ainsi, parce que partout où la légalisation a été instaurée, l’assèchement du marché parallèle et criminel du cannabis a été des plus relatifs, après, généralement, une période de flottement à laquelle a succédé une forte reprise.  

Plusieurs pays ou États de nations fédérales ayant fait l’expérience de la légalisation depuis plusieurs années peuvent ici nourrir notre réflexion. Il s’agit des Pays-bas, de l’Uruguay, du Canada, des États du Colorado et de Washington aux Etats-Unis (1), et de l’Espagne, dont la législation est plus tortueuse puisque seule la production à des fins de consommation personnelle y est autorisée, tandis que l’usage publique et le commerce restent prohibés. 

Auteur d’une tribune remarquée dans le Figaro au mois de juin, François Jolivet, député LREM de l’Indre est clairement hostile à la dépénalisation, bien que, comme moi, fervent partisan du cannabis thérapeutique. Comme il le confie : « J’ai une phrase pour résumer cela : je ne suis pas contre ce qui soulage, je suis contre ce qui tue. Je fais bien la différence ».  

Comme d’autres, le député de l’Indre a observé la situation aux Pays-Bas, plus vieux pays où la consommation est autorisée, jusqu’à produire un important narco-tourisme que nul n’ignore en France. 

Dans le pays des tulipes, l’État, qui autorisait la vente et la consommation de longue date, s’est lancé à titre expérimental dans la production afin d’alimenter les coffee shop, jusque-là approvisionnés par le marché parallèle et l’étranger. Cette expérience vient de s’étendre et le pays s’avère le premier de l’Union européenne à légaliser la production.

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