
Les joints ne sont plus ce qu’ils étaient © Thierry LINDAUER
Le cannabis d’aujourd’hui contient un dosage en THC qui le rend plus addictif qu’avant.
Ce n’est plus le cannabis de papa, celui des années 70. Le produit préféré des Français après l’alcool et la cigarette est aujourd’hui bien plus dosé en THC, le tétrahydrocannabinol qui est la molécule à l’origine de ses effets psychotropes. Avec des conséquences importantes sur les consommateurs.
« Dans les années 75, le taux de THC dans la résine tournait autour de 2 à 5 % confirme Pascal Nequier, infirmier au Centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CAPSA) Bobillot, qui dépend de l’hôpital Esquirol à Limoges. Aujourd’hui, on arrive à des taux de 28 % en moyenne. »
La police scientifique a même détecté des taux dépassant les 50 % dans du cannabis présenté sous une forme différente, le butane hash oil, une technique qui consiste à extraire du cannabis, à l’aide de gaz butane, une huile très pure.
Un effet plus massif
Cette nouvelle offre des trafiquants, qui est aussi rendue possible par une sélection plus fine des graines lors de la production, crée la demande de produits plus puissants, et y répond. « Plus le cannabis est chargé en THC, plus l’effet obtenu est massif. Cela signifie que les consommateurs ont besoin de « se défoncer » de manière plus importante » explique Pascal Néquier.
En matière d’effets, le docteur Catherine Chevalier, médecin responsable du CAPSA Bobillot, constate que « plus le pourcentage en THC augmente, plus il y aura d’effets anesthésiants, déconnectant de la réalité ».
« C’est comme si on consomme un verre de cidre et la même quantité en vodka, ce n’est pas le même effet »
DOCTEUR CATHERINE CHEVALIER
L’image du cannabis est pourtant restée la même : « Les gens de 50 ou 60 ans qui en parlent sont restés sur ce qu’était le cannabis quand ils étaient jeunes, confirme le docteur Chevalier. Mais ce n’est pas par hasard que nous avons beaucoup plus de gens dépendants au cannabis aujourd’hui que dans les années 70 ou 80. » La praticienne estime à « au moins 15 % » le nombre de consommateurs qui sont aujourd’hui dépendants du cannabis.
Le nombre de personnes citant le cannabis comme le produit leur posant le plus de problèmes dans les CAPSA a progressé de 55 % entre 2010 et 2016. La problématique est particulièrement inquiétante chez les jeunes. Quatre sur 10 ont expérimenté le cannabis à l’âge de 17 ans (source OFDT), et 7,2 % en consommeraient régulièrement au même âge.
Inquiétude pour les jeunes
Ce chiffre inquiète le docteur Chevalier car « le problème de ces produits fortement dosés, chez les très jeunes, c’est qu’ils ont des effets sur l’apprentissage, sur la mémoire immédiate, sur la gestion des émotions ». En matière de conduite des véhicules, ces forts pourcentages de THC induisent un retard d’appréhension du danger, des temps de réaction diminués, une vision perturbée.
Particularité française, la forte consommation de cannabis sous forme de résine ajoute une toxicité pulmonaire aux effets délétères de la consommation. « Et concernant les fumeurs qui prennent un peu d’âge, ajoute le docteur Chevalier, les études ont montré un lien entre la consommation de cannabis et les accidents vasculaires. Notre population de patients vieillit, et nous avons observé plusieurs cas d’accidents vasculaires. »
Le travail des soignants pour aider les personnes dépendantes à s’en sortir est compliqué par ce cannabis du XXIe siècle. Non pas par le taux de concentration en lui-même, mais par ce qu’il induit. « Les problématiques restent les mêmes, mais quelqu’un qui va commencer à toucher à des concentrations plus élevées de THC va avoir envie d’effets massifs. Soit il achète du cannabis plus concentré et le prix est plus élevé, soit la concentration est moindre et dans ce cas, il va en consommer plus. »
« Plus le produit coûte cher, plus le besoin d’en revendre est important pour pouvoir payer sa consommation. »
PASCAL NÉQUIER, INFIRMIER
Au-delà des conséquences physiques et psychiques, il y a les conséquences matérielles : la perte de points sur le permis, la perte du permis, la perte d’emploi, l’obligation de revendre ses biens, les dettes… « Et même quand nous travaillons sur le sevrage, la réinsertion sociale, la réponse judiciaire arrive parfois quatre ans après. On paye l’addition à ce moment-là, alors qu’on est parfois réinséré, et on repart sur des problématiques sociales. En matière d’addiction, la problématique, c’est la rechute, créée souvent par une instabilité sociale ou émotionnelle, pas forcément par le produit. »
Question sevrage, le cannabis est considéré comme une drogue lente. « Quand on est un consommateur régulier, on peut avoir du cannabis dans le corps 30 à 40 jours après la consommation, explique le docteur Chevalier. Le sevrage dépend de la quantité que l’on consomme, mais aussi du problème qui est caché derrière. Si vous arrêtez la molécule sans prendre en charge les troubles anxieux, le stress post-traumatique, ça n’aboutit pas. »
La cocaïne monte en flèche
« La consommation de cocaïne est en grande augmentation à Limoges ces dernières années. » Ce constat du docteur Chevalier corrobore une donnée nationale, avec cette particularité, selon la spécialiste, que « nous sommes sur une zone où nous avons une consommation importante, en comparaison avec d’autres régions ».
L’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) confirme qu’une récente baisse des prix a rendu plus accessible cette drogue, qui se négocie à environ 60 à 80 € le gramme. Elle est même vendue « à 0,1 gramme, au prix d’un ticket resto » selon l’OFDT. « C’est le produit qui nous pose le plus de soucis actuellement, s’inquiète le docteur Chevalier. Nos consultations nous montrent que de plus en plus de gens sont en difficulté avec la cocaïne, qui touche tous les milieux sociaux. »
La consommation de cocaïne s’est simplifié. « Aujourd’hui les gens la « basent », explique le docteur Chevalier, c’est-à-dire qu’ils la fument sous forme de crack. » Pour la rendre fumable, il est nécessaire d’y ajouter de l’ammoniaque ou du bicarbonate de soude. La consommation ainsi facilitée accélère plus encore « une dépendance psychique et physique qui fait que l’on est obligé d’augmenter très rapidement les consommations, pointe le médecin limougeaud. Du coup, les gens se retrouvent dans de graves difficultés pour arrêter. »
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