07/01/2019
355 morts par jour ; un coût direct de 22 milliards d’euros, soit 1,1 % du PIB ; un coût social annuel évalué à près de 250 milliards d’euros : la consommation de drogues – licites et illicites – a atteint en France un niveau d’autant plus alarmant que l’entrée en addiction commence de plus en plus tôt !
Champions d’Europe
À dix-sept ans, plus de 90 % des jeunes français ont déjà expérimenté une boisson alcoolique, 59 % ont déjà été ivres ; quatre jeunes sur dix déclarent avoir déjà consommé du cannabis au point, pour près de 10 % d’entre eux, de devenir dépendants avec aussi une nette tendance à consommer plusieurs substances en même temps… et de plus en plus tôt : en troisième, la moitié des élèves fument du tabac et un quart a expérimenté le cannabis ; en sixième, la moitié d’entre eux a déjà expérimenté l’alcool…
Or, aucun adolescent n’est à l’abri ; tous les milieux socio-économiques sont touchés, et les filles sont en train de rattraper les garçons ! Résultat : alors que se confirme une tendance générale à la baisse de consommation de tabac et d’alcool chez les collégiens partout en Europe*, nos adolescents sont toujours parmi les plus gros fumeurs et les plus gros buveurs.
Certes, entre 2014 et 2017, l’expérimentation du cannabis a régressé de près de 10 % en moyenne, mais sa consommation régulière (plus de dix fois par mois) de 2 % à peine ; surtout, la dépendance est de plus en plus fréquente, avec de graves conséquences en termes de santé physique et psychique à un âge particulièrement sensible.
Or, les empreintes précoces forgent l’accoutumance : plus durable est la consommation, plus l’abstinence est difficile et plus lourd le tribut payé à ces substances toxiques. Les examens de neuro-imagerie montrent des fonctions cérébrales altérées, et, plus la consommation débute jeune, plus le risque de troubles psychiques et de difficultés d’apprentissage s’avère important.
Notre vingt-sixième place en queue du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), le classement annuel des performances éducatives des pays développés, n’est sans doute pas étrangère à ce triste record, de même que le nombre encore trop souvent inexpliqué d’accidents mortels sur la route et sur la voie publique …
Déjouer le piège
L’adolescence est une période de transgression et de nouvelles expérimentations, mais souvent en toute naïveté et par seul goût du risque … La première cigarette, la première dose, le premier joint, le premier cachet, c’est gratuit et proposé par un type sympa à la sortie du collège ; présenté comme un produit naturel, ce n’est pas dangereux ! Et puis, tout le monde en prend… L’engrenage s’enclenche en douceur, au point d’oublier que c’est toujours illégal et passible de lourdes amendes, voire de peines d’emprisonnement.
Proposer, même gratuitement, des stupéfiants, c’est jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et soixante-quinze mille euros d’amende, et sept ans d’emprisonnement et cent-cinquante mille euros d’amende à proximité d’un établissement scolaire. Depuis fin novembre 2018, le simple usage de
drogue illicite est passible d’une amende de 200 euros… Un petit rappel à la loi ne serait pas inutile…
Mais, les parents sont-ils suffisamment vigilants ? Sont-ils seulement informés des signes d’alerte ? Des changements brutaux d’amis, de tenue vestimentaire et de comportement ; des résultats scolaires en chute libre ; des demandes de rallonges d’argent de poche de plus en plus pressantes… quitte même à en arriver à voler ! Trop d’ados se laissent tenter sans savoir pourquoi ; ils n’ont pas de projets, ils ne font pas sport ou d’autres activités, ils ne se sentent pas bien dans leur peau ni dans leur environnement.
S’il est difficile d’éviter à cet âge les prises de risque, les parents peuvent limiter les dégâts en faisant sentir qu’ils sont là, prêts à parler et à aider sans culpabilisation ni intrusion… Mais surtout en veillant à ne pas donner eux-mêmes le mauvais exemple. Et si une aide extérieure s’avère nécessaire, une consultation chez un médecin s’impose, ne serait-ce que pour faire le point.
Une priorité nationale ?
Notre jeunesse qui fume trop, boit trop, se drogue, passe pour le mouton noir de l’Europe. A qui la faute ? Notre politique en matière de prévention est-elle à la hauteur ? Certes, tous les acteurs concernés – l’Éducation nationale, la santé, la justice, l’agriculture – sont mobilisés autour des grands chantiers de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et conduites addictives (MILDECA).
Mais, L’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) ne manque pas une occasion de nous rappeler que l’information et la prévention doivent être intégrés dans les programmes scolaires dès l’école primaire avec un encadrement suffisamment formé pour que les parents ne se retrouvent pas désarmés devant l’adolescent qu’ils n’ont pas appris à protéger dès son plus jeune âge…
Au-delà des traditionnels programmes interministériels et autres plans gouvernementaux, il est temps d’agir sur le terrain, au plus près des jeunes. Le nouveau service national devrait permettre d’établir un contact avec des professionnels de santé motivés ; mettons aussi à profit l’engouement des adolescents pour les réseaux sociaux afin de les encourager à témoigner, partager et mieux s’informer avec les mots et les codes de leur âge.
Pr Jean-Pierre GOULLÉ, Toxicologue, Membre de l’Académie nationale de Pharmacie
* Health Behavior in School-aged Chlidren (HBSC) et European School Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD) (enquêtes réalisées tous les quatre ans auprès des jeunes européens de 11 à 16 ans). Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation A la Défense (ESCAPAD) (enquête menée auprès des jeunes français de 17 ans par l’OFDT) https://www.ofdt.fr/enquetes-et-dispositifs/hbsc/,https://www.ofdt.fr/enquetes-et-dispositifs/espad/en-pratique/, https://www.ofdt.fr/enquetes-et-dispositifs/escapad/
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