Panneau interdisant de fumer du canabis. © iStock
Panneau interdisant de fumer du cannabis. © iStock

Régulièrement, l’hypothèse d’une légalisation du cannabis revient dans le débat public en France,

Le neurologue Grégoire Hinzelin rappelle les effets du cannabis sur le cerveau.

Quand quelqu’un fume du cannabis, quels sont les effets sur son cerveau ?

Lorsqu’on fume un joint, le psychotrope absorbé provoque une accélération du fonctionnement électrique du cerveau, et donc un effet d’anxiolyse, c’est-à-dire réduisant l’anxiété. Cela produit une désinhibition, exactement comme l’alcool. L’anxiolyse et l’euphorie qui en découle sont parmi les mécanismes qui provoquent la dépendance.

Une consommation très épisodique n’aura pas particulièrement de conséquence à long terme, à part en ce qui concerne les accidents qui peuvent se dérouler à l’occasion de la période où le consommateur est sous l’emprise du cannabis. Exactement comme l’alcool, une énorme cuite n’aura en général aucun impact à long terme sur la santé, contrairement à une consommation trop fréquente.

Et sur le long terme, qu’observe-t-on dans le cerveau des consommateurs de cannabis ?

Une dégradation se manifeste de diverses façons. De manière générale, le principal aspect est l’augmentation du trouble de la mémoire, de la concentration, et parfois – plus grave – une augmentation des troubles psychiatriques. Apparaissent des crises de démence d’origine vasculaire (désorientation permanente, incapacité à ordonner ses pensées…) ou des démences cortico-souscorticales, c’est-à-dire des problèmes de mémoire graves, qui s’apparentent à un léger Alzheimer prématuré qui se manifeste parfois dès 40 ans.

Dans de nombreux cas, la consommation régulière de cannabis peut développer une schizophrénie.

Il y a aussi un risque très important de bouffées délirantes aiguës, qui arrivent à des consommateurs qui souvent n’ont jamais connu de troubles psychiques avant et qui se mettent à adopter des comportements incohérents et irrationnels le temps de la crise. Dans de nombreux cas, la consommation régulière de cannabis peut développer une schizophrénie. En revanche, il y a débat dans la communauté scientifique entre ceux qui affirment que le cannabis ne fait que dévoiler et rendre active une schizophrénie préexistante et ceux qui défendent l’idée que le cannabis crée la schizophrénie sans que le consommateur n’y soit prédisposé. La question est là : la schizophrénie provoquée par le cannabis est-elle innée ou acquise ? Il nous faudra encore 10 ou 15 ans pour le savoir.

Il faut en outre distinguer les troubles liés à la consommation et à la drogue elle-même. La consommation de cannabis à long terme peut être un facteur d’isolement social, et la dépression peut découler de cette dépendance et de ses effets indirects.

Y a-t-il une évolution du contenu de ce que fument le consommateurs de cannabis au fil des ans ?

Les joints qui étaient fumés en mai 1968 présentaient déjà un risque et contenaient 2 à 3% de THC (tétrahydrocannabinol, la principale substance active du cannabis). Aujourd’hui, une boulette de résine en contient bien plus, montant parfois jusqu’à 40% de THC ! Une telle dose dans un joint est encore plus puissante qu’un rail de cocaïne. C’est tout l’ennui : quand un consommateur va se procurer du cannabis, il ne sait pas quelle dose de THC il s’apprête à consommer, et c’est souvent énorme. C’est comme si vous vouliez acheter de l’alcool dans un magasin, et que vous ne saviez pas si vous venez acheter une bouteille de cidre ou trois bouteilles de whisky. Et quand on s’habitue à de telles doses de cannabis, on glisse vite sur la pente qui mène à la consommation de drogues dites « plus dures », comme la cocaïne.

Drogues douces, drogues dures… en ce qui concerne les effets neurologiques, la distinction est justifiée ?

Non, sauf à parler aussi d’alcool dur et d’alcool doux. En terme de dangerosité, comme je l’ai déjà dit, le cannabis peut parfois valoir la cocaïne. En plus de cela, il y a une continuité entre la consommation de cannabis et des autres drogues : 10 à 20 % des patients qui consommaient du cannabis ont fini par basculer vers une consommation plus dangereuse et fréquente, en devenant par exemple accros au crack.

L’accoutumance au cannabis, l’habitude toxique qui est prise, facilite grandement la montée de la toxicomanie. La question n’est pas la nature de la drogue – certaines considérées comme très dangereuses et d’autres comme modérément dangereuses –, mais le taux de substance nocive, en occurrence le THC. Les défenseurs d’une dépénalisation du cannabis invoquent souvent l’argument qu’elle permettrait de contrôler la qualité de ce que fument les consommateurs, mais l’expérience ne confirme pas cette idée…

Le Colorado (États-Unis), qui a légalisé le cannabis, a certes connu un boom économique dans un premier temps, mais en plus de l’augmentation du risque pour la santé des citoyens, l’État doit toujours faire face à un marché noir du cannabis, et le taux de THC n’a pas diminué.

Pour l’aspect thérapeutique du cannabis, aucune étude n’a démontré son efficacité.

Est-ce qu’on peut soigner les dégâts faits par le cannabis au cerveau ? À l’inverse, le cannabis n’a-t-il pas lui-même des vertus thérapeutiques ?

Pour l’aspect thérapeutique du cannabis, il faut être clair : aucune étude n’a démontré son efficacité. Certaines personnes sont très sensibles à ce « remède », mais rien n’a été prouvé dans ce sens de manière générale. On n’a que des expériences personnelles et individuelles.

Quant à soigner les lésions causées par le cannabis au cerveau, malheureusement, dans l’état actuel des choses, c’est impossible. Il s’agit de lésions dégénératives, il faudrait donc re-stimuler le tissu cérébral et la science ne le permet pas… Pour les cinq années à venir du moins, c’est encore inimaginable.

Source