Un de nos correspondants, François Torres, a été pendant cinq ans, assistant d’éducation dans différents établissements d’enseignement. Il a rassemblé ses observations sous forme d’un mémoire de master d’encadrement éducatif de l’Université de Poitiers qu’il nous a confié.
Titulaire d’une licence en droit et d’un DU de sciences criminelles, son témoignage est celui d’un homme de terrain qui a su établir des contacts personnels avec des utilisateurs de cannabis.
On découvre comment au collège, on s’initie à la drogue, le parrainage d’un fumeur confirmé, l’entrée dans un groupe qui protège (?), encadre et fournit la drogue. Fumer à l’intérieur de l’établissement est à moindre risque qu’à l’extérieur.
Le cannabis au lycée, le témoignage d’un assistant d’éducation
En première ligne, aux côtés des enseignants, l’assistant d’éducation (AE) suit le parcours des collégiens et des lycéens. Sa mission se situe dans le cadre de la vie scolaire, il rend compte de son action au Conseiller principal d’Education (CPE) et au Chef d’établissement.
Son rôle est d’observer, d’écouter, de conseiller et parfois de sanctionner les consommateurs de drogue. L’un d’eux nous a confié la relecture de son rapport après cinq ans de pratique dans plusieurs lycées. Il doit en faire la soutenance dans le cadre d’un master de l’Institut supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE). Son travail cible « L’usage évolutif de la consommation de cannabis chez des lycéens et leurs démotivations scolaires ».
L’observation d’une dépendance au cannabis est basée sur le constat d’un état de manque. Le diagnostic est simple chez un utilisateur irrégulier, yeux rouges, peau pâle, élocution lente, parfois raisonnements incohérents. Le syndrome de sevrage est alors identifiable.
Il est beaucoup plus difficile de découvrir le consommateur régulier qui maîtrise ses prises, a développé un état de tolérance et ne présente que des signes discrets, pâleur, parfois amaigrissement. L’AE cite même le cas d’un élève de terminale scientifique qui avait fumé trois joints avant l’entretien (il l’a avoué lors de l’entretien). L’entretien en lui même était spontané et n’a pas fait au préalable l’objet de préparation, la conversation a duré une heure « dans une expression parfaite ».
Le choix du cannabis s’explique parce qu’il est peu cher (moins que l’alcool) et considéré comme moins dangereux. Il est essentiellement fumé sous forme de cigarettes, l’usage préalable du tabac a appris à les rouler et sous forme de pipes à eau, les fameux Bangs dont notre AE a une belle collection, évidemment confisquée (comme l’herbe).
L’apprentissage des prises se fait auprès d’un (ou des) fumeur expérimenté, généralement à deux, entre pair formant un groupe. Plus ils sont nombreux à fumer, plus la conviction de l’intérêt de fumer du cannabis s’impose rapidement. Les nouveaux rejoignent le groupe.
On n’évite pas pour autant les effets violents qui arrivent parfois, réactions agressives, tachycardie, crises de paranoïa, le « bad trip » lorsque la quantité absorbée et/ou de la concentration de la drogue sont très élevées mais aussi parce que le groupe pousse à la consommation. Des réactions encore plus graves s’observent, signalées alors par les personnels d’établissement, à type de dépression, de sentiment d’injustice, le monde entier lui en veut alors qu’il n’a fait de mal à personne. Ce type d’accident survient plus souvent chez les internes, l’AE signale que ceux-ci passent plus de temps au lycée que chez leurs parents.
Les comptes-rendus de conversations de l’AE avec les lycéens qui l’acceptent (volontariat) sont éclairantes car elles s’expriment librement dans le cadre de la vie scolaire sans aucune pénalité ni divulgation. Les motifs de prise du cannabis y sont clairement exprimés, soit festifs, hédoniques, soit « thérapeutiques » ou de « défonce ». En fait il s’agit d’une identification de la consommation dans un groupe social.
Chez nos jeunes on observe fréquemment soit la défonce, soit le besoin « thérapeutique » (dans ce cas, dès 8 heures du matin).
Précisons le motif « thérapeutique » : soulagement du mal être, combattre l’insomnie, participer au groupe et partager son secret. Mais en fait, dans son entretien l’interlocuteur de l’AE cherche avant tout à faire partager sa conviction par des raisonnements logiques, légitimant son choix et sa transgression juridique et morale.
L’argument le plus fréquent est l’absurdité d’associer à l’interdiction d’acheter et de détenir, la possibilité de consommer à condition de ne pas être pris. La norme n’est pas claire. Autre avantage, c’est au lycée que le risque est moindre : si l’on se fait prendre, la sanction est faible, de un à trois jours d’exclusion. A l’extérieur, c’est plus cher, une convocation au tribunal, des peines aggravées en cas de récidive. On comprend mieux ce jeu de cache-cache au lycée avec le surveillant à la recherche des stocks (l’approvisionnement fait partie des difficultés) et de la prise sur le fait du toxicomane.
La maîtrise des contrôles sociaux est l’enjeu majeur des lycéens dépendants du cannabis. Ils veulent à la fois exister en tant qu’être libre de leurs choix et d’une attitude critique vis-à-vis des institutions, tout en ayant la volonté d’être intégré au lycée et à l’évidence d’en sortir par le haut, c’est-à-dire avec le baccalauréat.
La question majeure reste de savoir si l’usage du cannabis est une cause de décrochage scolaire. Le mémoire rapporte l’audition de 32 élèves en difficulté et de 5 entretiens : tous et toutes souffrent plus ou moins de leur dépendance. Dans cette étude, il apparaît clairement que non seulement le cannabis ne favorise pas l’apprentissage mais qu’il provoque ou aggrave le décrochage. La réponse reste controversée au plan national.
Ce rapport souligne aussi l’importance du rôle de ces éducateurs qui au contact direct de la souffrance, permettent de l’entendre, de l’analyser, de la comprendre et de l’apaiser. Cette mission des responsables de la vie scolaire devrait être mieux connue et encouragée. Elle devrait être précisée car AE comme CPE ne doivent rien cacher, faire respecter les règles de l’établissement, deux conditions nécessaires pour éviter des divergences de comportement entre enseignants et éducateurs.
Il n’en reste pas moins que l’erreur majeure de ces élèves est de croire que le cannabis peut être une aide, un soutien. Une fois encore, une explication claire des méfaits de cette drogue éviterait qu’on la considère comme un recours.
La prévention des toxicomanies passe par l’école, l’information devrait y être généralisée, obligatoire.
Jean-Paul Tillement et François Torres
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