L’enfumage sur le cannabis dit « thérapeutique », préalable au cannabis dit « récréatif »
Pr. Jean Costentin Président du centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT)
Regard en arrière.
Le cannabis, qui était inscrit de longue date à la pharmacopée nationale en fut évincé en 1953. Il n’avait pas démontré d’intérêts thérapeutiques durant la longue période qui avait précédé, alors qu’il faisait déjà l’objet de détournements toxicomaniaques.
Soixante ans plus tard (en 2013) madame M. Touraine, ministre de la Santé (2012-2017), cédant à des pressions, entre autres médiatiques, prenait à la hâte un décret autorisant l’usage thérapeutique du cannabis et de ses « dérivés ». « A la hâte » car le rédacteur du décret et la ministre signataire n’avaient pas pris le temps de s’informer qu’une plante comporte maints composants/constituants, mais qu’elle ne comporte pas de dérivés. Ils n’avaient non plus pris le temps de réaliser que si l’on peut autoriser une substance définie que l’on croit bien connaître, contenue dans une plante, il est pour le moins téméraire d’autoriser globalement tous les composants de cette plante….
Comme s’il attendait ce feu vert ministériel, un dossier était peu après présenté à l’agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) ; il demandait l’autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) d’un médicament associant à concentrations égales du tétrahydrocannabinol / THC et du cannabidiol / CBD – le Sativex®, avec pour indication les spasmes douloureux pouvant affecter les patients victimes de sclérose en plaques.
On a pu remarquer alors que les membres de la commission à qui revenait d’expertiser ce dossier, venaient d’être congédiés, alors qu’ils étaient « capés », voire très « capés », rodés à cet exercice, certains d’entre eux étaient délégués par les académies nationales de médecine et de pharmacie. Ils ont alors été remplacés par une majorité d’autres membres aux parcours scientifiques plutôt modestes, voire très modestes ; ce qui pouvait les rendre plus facilement influençables.
J’ai alors adressé à chacun d’eux, sous des enveloppes personnalisées, à l’adresse de l’agence nationale de sécurité du médicament (n’ayant pas leur adresse personnelle), un document visant à compléter leur information sur les principaux méfaits du THC. J’avais associé à l’ensemble des enveloppes un texte d’accompagnement pour l’ANSM, la priant de bien vouloir distribuer ces lettres à leurs destinataires. Elles ne leur furent pas distribuées. Plus d’un mois après mon envoi, et surtout après que la commission ait statué en faveur du Sativex®, ces lettres me furent retournées, me disant qu’il n’était pas dans les usages de l’agence d’effectuer la distribution à ses membres des courriers qui leur étaient adressés. Point n’est besoin de nous interroger sur le délai d’un mois nécessaire pour ce retour.
Une intense campagne médiatique se déploya pour saluer l’autorisation de mise sur le marché de ce Sativex® ; présenté comme exceptionnel, véritable révolution thérapeutique etc… Et de regretter qu’il n’ait été mis plus tôt à la disposition de patients, qui allaient enfin être soulagés de leurs spasmes douloureux.
Ce médicament était commercialisé par un laboratoire Espagnol, Almirall, dont l’héritière, madame S. Gallardo, a épousé en 2019 Mr. Manuel Valls (ministre de l’intérieur de 2012 à 2014, puis premier ministre de 2014 à 2016).
Le prix de vente sollicité par le laboratoire (440 €) fut jugé prohibitif par la « commission de la transparence » qui avait estimé le service médical rendu (SMR) comme « faible » et l’amélioration du service médical rendu (ASMR ) comme inexistant (ASMR V). Partageant cette appréciation et résistant à l’assaut médiatique, la sécurité sociale décidait de ne le rembourser qu’à 15% de son prix. A ce jour (soit 6 ans plus tard) ce médicament qui était « indispensable », « véritable révolution thérapeutique » … n’est toujours pas commercialisé en France.
Plus récemment (décembre 2018) un médicament ne comportant que du cannabidiol / CBD, l’Epidyolex® a obtenu l’A.M.M. (autorisation de mise sur le marché) avec pour indication deux formes graves d’épilepsies de l’enfant : le syndrome de Dravet et le syndrome de Lennox-Gastaut ; deux affections rares assez réfractaires aux traitements disponibles. L’efficacité du CBD n’est démontrée qu’en association à d’autres médicaments antiépileptiques, dont en particulier le clobazam (une benzodiazépine). Si le service médical rendu est jugé important dans l’indication revendiquée, par contre l’amélioration du service médical rendu (ASMR de niveau IV) est jugée « mineure » (relativement aux médicaments disponibles). Le CBD étant hélas loin de transformer le cours de ces affections, les dithyrambes exprimés sont mensongers.
Les subterfuges présents.
Les Sativex® et Epidiolex® s’apparentent ainsi à deux « pétards » faisant long feu. Leur enlisement risquait de renvoyer dans l’oubli le cannabis dit « thérapeutique ». C’était sans compter sur l’obstination intéressée de ceux qui avaient investi ou envisageaient de le faire dans le chanvre non textile et qui ne pouvaient se résoudre à abandonner l’espoir d’une légalisation du cannabis à des fins scandaleusement qualifiées de « récréatives ». Cette légalisation ouvrirait un marché dont les volumes de vente seraient des centaines de fois supérieurs à ceux que représenterait le cannabis utilisé à des fins « thérapeutiques ». Pour y parvenir il faut, comme aux USA, faire accepter préalablement le cannabis « thérapeutique », véritable figure imposée du spectacle permettant d’accéder au podium de la légalisation.
De puissants groupes capitalistes, des médias intoxiqués ou corrompus, des politiques, des particuliers, d’inévitables « idiots utiles » et d’autres encore, se sont mobilisés pour un lobbying intense, auprès des citoyens et de leurs représentants.
Un agriculteur, député de la Creuse, porte-parole de laREM, J.-B. Moreau, se dépense sans compter pour faire de son département l’Eldorado cannabique français. Il se répand sur les ondes, pour y dispenser parfois de surprenants cours de pharmacologie, affrontant sans vergogne des pharmacologues chevronnés, dans une parfaite illustration d’ultracrépidarianisme (le fait de parler avec force et conviction de sujets complètement en dehors de son domaine de connaissance/d’expertise). Il s’est adjoint plusieurs députés, coreligionnaires en cannabis : L. Mendès (Moselle), O. Véran (devenu ministre de la Santé, que la COVID a opportunément éloigné de sa fixation sur le cannabis), Caroline Janvier (Loiret), des députés ou des maires LR, schismatiques : R. Reda (Essonne), A. Robinet (Reims), B. Ravignon (Charleville-Mézières), semblant prêts à rejoindre LaREM et à faire allégeance aux alliés précités en proclamant leur souhait d’une légalisation du cannabis. C’est avec leurs petites histoires qu’ils espèrent écrire l’Histoire…du cannabis.
Sous la houlette de O. Véran, qui n’était alors que député, une mission parlementaire a été constituée à l’assemblée nationale, organisant son action/activisme en trois strates : le cannabis thérapeutique (en omettant les guillemets) ; le cannabis de confort (toujours sans « ») ; et le cannabis qualifié de récréatif (terme résolument euphémique pour occulter les catastrophes qui peuvent s’associer à son usage quand il vire, comme souvent, à l’abus et à la dépendance).
La première strate de cette mission a diligenté une expérimentation thérapeutique du cannabis, sous l’égide de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Pour la diriger a été nommé un psychiatre qui, pour des opportunités universitaire, s’est reconverti à la pharmacologie. Cela n’en fait pas un spécialiste des essais cliniques des médicaments, ce dont on s’est aperçu très vite, tant par ses déclarations que par le protocole qu’il a mis en place.
Cette étude ne concerne pas moins de 5 pathologies ou troubles définis. Elle utilise plusieurs formes galéniques de cannabis (excluant heureusement la forme fumée pour au moins s’affranchir des méfaits trop connus du tabac). Elle devrait durer deux ans et inclure 3.000 patients. On sait dès le départ qu’en raison de la diversité des pathologies, des formes galéniques, des doses qu’il conviendrait d’essayer, il sera difficile d’en tirer des conclusions fermes et moins encore définitives. Cette expérimentation devrait être suivie inéluctablement d’essais cliniques rigoureux, car ce qui est en cours contrevient à plusieurs des règles importantes qui sont requises dans des essais dignes de ce nom. C’est ce qui fait que l’opération ne revendique plus l’appellation d’un essai, ne parlant modestement que d’une expérimentation. On sait que son coût sera élevé. Il a même été annoncé la formation, pour la circonstance, de personnels hospitaliers dédiés à cette tâche, alors que ces utilisations thérapeutiques pourraient être sans lendemain. Cette agitation, toute exceptionnelle en cette matière, apparaît de plus en plus comme une opération promotionnelle, destinée à entretenir dans l’esprit du public le caractère thérapeutique du cannabis. Des expressions diverses peuvent caractériser cette expérimentation : Improvisation, manipulation, communication, bricolage, enfumage, hétérodoxie…et de plus :
-Incompréhension manifeste, qu’un groupe de députés, se constituant en mission d’étude du cannabis, initie des expérimentations cliniques de médicaments !
-Suspicion, quand le vice-président de cette mission parait en situation de conflits d’intérêt ; tout député n’est-il pas d’abord celui de la Nation toute entière, devant faire passer les intérêts de celle-ci avant ses intérêts départementaux (la Creuse) et professionnels (l’agriculture). Or il se dépense sans compter pour instaurer une filière de culture du chanvre non textile. Sa démarche, aidée par le fait qu’il est un des porte-paroles de laR.E.M., commence à être couronnée de succès, puisqu’un arrêté émanant de l’agence nationale de sécurité du médicament, comme pour lui complaire, constitue un comité scientifique temporaire pour préparer « la culture en France du cannabis à usage médical et élaborer des spécifications techniques de la chaine de production allant de la plante au médicament » (décision de la directrice de l’ANSM du 17/02/22).
-Surprise que le psychiatre, néo pharmacologue, en charge de cette expérimentation communique sans réserve sur celle-ci, parlant d’emblée de cannabis « thérapeutique » alors que c’est l’objet même de cette expérimentation de déterminer si le cannabis pourrait être éligible comme moyen thérapeutique.
-Trouble provoqué par le fait que cette expérimentation thérapeutique se fasse à ciel ouvert, sous les phares des médias, dans un contexte militant, influençant les patients avant ou pendant qu’ils participent à l’essai.
-Stupéfaction que l’expérimentation d’un candidat médicament, n’inclue pas un médicament de référence, pour vérifier que dans les conditions choisies son efficacité est bien retrouvée et pour permettre de situer l’efficacité de la molécule testée par rapport à cet étalon interne à l’étude.
-Abasourdissement du fait qu’un essai thérapeutique porte sur l’ensemble des molécules présentes dans un végétal dont la composition compte cent causes de variations (« végétal varie, bien fou qui s’y fie ») ; alors qu’habituellement on expérimente sur une molécule définie, pure, de synthèse ou extraite d’un végétal.
-Scandalisé par l’absence dans cette étude d’un placébo, d’autant plus nécessaire que les patients qui y participent le font dans un contexte très médiatisé, en rupture complète avec un essai en double aveugle, dans lequel le patient ne sait s’il reçoit ou non la molécule à tester, et le clinicien ne sait lui si le patient reçoit le placébo ou la molécule à tester.
Ajoutons à ces anomalies multiples la connaissance de plus en plus précise des effets épigénétiques du THC qui peuvent affecter non seulement ses utilisateurs, mais aussi potentiellement leur progéniture. Cela justifierait de toute urgence de siffler l’arrêt de la partie et d’imposer un moratoire. Pourtant, faisant semblant de les ignorer, la roulotte déglinguée de cette expérimentation poursuit son cheminement.
La mission parlementaire sur le cannabis a cherché à diluer la responsabilité de ses membres, qui doivent finir quand même par s’interroger devant l’accumulation des raisons de douter. Comme pour satisfaire un besoin de réassurance ils ont eu l’outrecuidance, au cœur de la pandémie COVID, quand ses victimes mouraient par milliers et quand chacun pouvait être inquiet pour lui même et pour les siens, de lancer une « consultation citoyenne » pour s’assurer qu’une majorité de nos concitoyens se déclarerait favorable à la légalisation du cannabis. Cette consultation vira au « bide » complet. Alors qu’était attendue l’approbation des 1.500.000 usagers réguliers de cannabis, grossie de celle de leurs supplétifs, la participation à cette consultation fut éminemment modeste. Le journal « Le Monde » déclarait « plus de 250.000 » ; que nous rectifierons par : seulement 251.000 réponses furent obtenues. Elles émanaient à 70% de personnes déclarant avoir déjà consommé du cannabis ; pourtant près de 20% des personnes s’étant exprimés, le firent sur le mode d’une réprobation. Ne se le tenant pas pour dit, les initiateurs de cette consultation exprimaient aussitôt leur désir de recourir à la voie référendaire. On ne recourt en France que très exceptionnellement au référendum, et le faisant c’est alors pour faire décider par une majorité d’électeurs de changements majeurs pour la Nation. Voilà donc que certains de nos élus seraient prêts à dévoyer cette procédure exceptionnelle pour faire avaliser une intoxication nationale par le cannabis.
Conclusion
Pour forcer un destin bien funeste on voit :
-Exploser les publicités mensongères sur le cannabidiol et s’ouvrir en tous lieux des boutiques pour le vendre ;
-Déclarer « thérapeutique » le cannabis alors qu’il fait l’objet d’expérimentations qui devraient le déterminer ;
-Pratiquer une expérimentation « bidon », visant à parer le cannabis d‘une respectabilité médicamenteuse, à l’instar d’un essai clinique ;
-Lancer les prémices d’une filière nationale de culture du cannabis dit « médical » ; c’est comme si on construisait des centrales à hydrogène, alors qu’on ne sait encore si le procédé est maitrisable, efficace, rentable. A mettre systématiquement la charrue devant les bœufs, il n’y a plus besoin de bœufs, la charrue se précipite toute seule… dans le mur.
Ainsi sont ouvertes d’énormes brèches supplémentaires dans la loi de 1970 qui prohibe le cannabis. Elles visent, après son travestissement en médicament, à sa légalisation à des fins scandaleusement qualifiées de récréatives ; scandaleusement car nous savons que la « récré » cannabiques se termine souvent mal, voire très mal.
Les artisans du désastre cannabique qui se prépare (aux plans sanitaire, social, sociétal) doivent s’imprimer dans notre mémoire. Promettons leurs de ne pas les faire bénéficier d’une amnistie par l’oubli. Ne consommant pas cette drogue nous disposons d’une mémoire que nous nous appliquerons à entretenir pour ne pas les oublier et pour les faire connaître au plus grand nombre possible de nos concitoyens.
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