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Un syndrome de plus en plus rapporté chez les consommateurs chroniques de cannabis commence à prendre des proportions épidémiques, rapportent des pharmacologues réunis au sein du réseau français d’addictovigilance. Le syndrome d’hyperémèse cannabique, caractérisé par des épisodes répétés de nausées et vomissements, fait l’objet d’une étude à paraître le 1er janvier 2018 dans la revue Drug and Alcool Dependance.

Ce syndrome a été initialement décrit en Australie en 2004. En France, les premiers cas n’ont été rapportés qu’en 2013. Le nombre de cas a régulièrement augmenté depuis 2015, jusqu’à atteindre aujourd’hui 29 notifications, indiquent les membres du réseau français d’addictovigilance.

Le syndrome d’hyperémèse cannabique (SHC), également appelé syndrome cannabinoïde, progresse en trois phases. La première débute par des signes avant-coureurs, comportant des nausées matinales, une peur de vomir et un inconfort abdominal. Ces symptômes cycliques évoluent pendant plusieurs semaines ou mois.

La deuxième phase est caractérisée par des épisodes de vomissements incoercibles, accompagnés de nausées intenses, persistantes, invalidantes, ainsi que de fortes douleurs abdominales. Dans certains cas, les vomissements incontrôlables peuvent entraîner une déshydratation sévère. Ces crises douloureuses durent généralement moins d’une semaine.

Prise compulsive de douches chaudes

Les symptômes ont l’étonnante particularité d’être temporairement soulagés par la prise compulsive de douches chaudes ou de bains chauds, voire très chauds. Cet effet bénéfique est un élément clé du diagnostic de SHC.

Il se produit ensuite une phase de récupération qui correspond à la disparition des symptômes qui débute après l’arrêt de prise du cannabis. Elle est complète le plus souvent en 24 à 48 heures.

Le profil des patients français ayant présenté un syndrome d’hyperémèse cannabique a été comparé à ceux rapportés à ce jour dans la littérature internationale. L’âge moyen des patients français est de 25 ans (contre 30 ans pour les 113 cas déjà décrits). Par ailleurs, en France, les patients atteints de ce syndrome diffèrent significativement de ceux publiés dans la littérature par leur consommation plus importante d’autres substances psychoactives (41,4 % contre 22,1 %), de même que par un usage plus fréquent à des fins récréatives (17,2 % contre 3,7 %). Ceci pourrait traduire une fréquence plus élevée de troubles anxieux parmi les patients français souffrant du syndrome d’hyperémèse cannabique (SHC).

Par ailleurs, le centre d’addictovigilance de l’Hôpital Fernand Widal (Paris) et l’équipe d’addictologie hospitalière de liaison et de soins (ELSA) de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière ont fait état en décembre 2017 dans le Journal of Clinical Psychopharmacology de 19 cas de SHC enregistrés en Ile-de-France entre 2012 et 2016 chez des patients âgés de 20 à 48 ans.

Un syndrome peu connu des médecins

Le diagnostic du SHC repose uniquement sur les symptômes cliniques du patient. Il ne dépend pas d’examens complémentaires. Il doit être évoqué aux urgences chez tout adulte jeune ou adolescent présentant des vomissements incoercibles. Le médecin doit alors l’interroger sur une consommation chronique de cannabis, critère indispensable au diagnostic. L’intensité des douleurs abdominales est telle que ces patients sont fréquemment hospitalisés en urgence. Les explorations par scanner abdomino-pelvien et par endoscopie digestive haute (observation de l’intérieur de l’œsophage, de l’estomac et du duodénum) sont normales. La reconnaissance de ce syndrome éviterait donc les examens d’imagerie inutiles (scanner) et invasives (endoscopie digestive).

Les auteurs notent cependant que le SHC reste peu connu des professionnels de santé, probablement du fait d’une sous-notification significative. Cependant, on compte 29 cas pour 113 décrits dans la littérature. Selon eux,  ces chiffres illustrent la possibilité de l’émergence en France d’une « épidémie » de ce syndrome.

La survenue de SHC ne dépend pas de la consommation quotidienne de grandes quantités de cannabis. Le délai entre la consommation chronique de cannabis et la survenue des vomissements répétés est variable. Une étude a montré que 44 % des patients souffrant d’un SHC avaient présenté des symptômes un à cinq ans après le début de leur consommation de cannabis et 32 % au cours de la première année. Parmi eux, 59 % en consommaient quotidiennement, d’autres uniquement le week-end. Des facteurs individuels sont donc probablement impliqués dans la survenue de ce syndrome.

On recense dans la littérature le cas d’un individu avec SHC qui n’était pas un fumeur de cannabis mais un consommateur de cannabinoïdes de synthèse, de nouvelles substances psychoactives encore appelées spices.

Paradoxe temporel

Comment expliquer que le cannabis, plante ancestrale consommée depuis des millénaires, puisse entrainer un nouveau syndrome ? Les usagers de cette drogue ont-ils modifié leurs habitudes de consommation ? Fument-ils plus qu’auparavant ? Il est probable que l’émergence du SHC tienne plus au fait que les teneurs en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), principe actif du cannabis, présent dans l’herbe ou la résine, ont régulièrement augmenté, passant d’environ 9 % en 2000 à 17,4 % en 2013, avec des valeurs pouvant atteindre 40 %. De plus, le cannabis « haut dosage » (Cannabis indica) a progressivement supplanté les plants traditionnels de Cannabis sativa à faible teneur en THC, indiquent les auteurs. D’où l’hypothèse que l’augmentation des teneurs en THC a pu contribuer de façon significative à l’émergence du syndrome d’hyperémèse cannabique, le THC s’accumulant plus rapidement et à de plus fortes concentrations dans le cerveau.

Effet paradoxal

On sait que le cannabis est utilisé à des fins médicales pour son effet bénéfique sur les nausées induites par la chimiothérapie. Dès lors, comment expliquer qu’il puisse provoquer des vomissements incontrôlables ? Comment se fait-il que des consommateurs ressentent des nausées alors que le cannabis, de par ses effets anti-émétiques, devrait les soulager de ces symptômes ?

Pour comprendre, il faut savoir que les récepteurs cannabinoïdes CB1 (sur lesquels agit le THC) sont principalement présents dans le système nerveux central et périphérique, y compris le système nerveux entérique (faisant partie du système nerveux autonome contrôlant l’appareil digestif). Ces récepteurs sont impliqués dans la réduction de la sensation de nausée et dans la régulation de la température corporelle (thermorégulation). La sur-stimulation des récepteurs CB1 du système nerveux entérique pourrait provoquer un effet émétique qui surpasserait l’activité antiémétique au niveau du système nerveux central. Si tel est le cas, des teneurs élevées de THC, en dépassant un seuil propre à un individu donné, pourraient déclencher l’apparition des symptômes. De fait, des chercheurs ont émis l’hypothèse que des variations génétiques sur certains enzymes hépatiques pourraient influencer la survenue du SHC. Un métabolisme trop rapide du cannabis entraînerait une surproduction et une accumulation de dérivés du cannabis (métabolites), favorisant les vomissements.

Le SHC, sujet de santé publique

Les membres du réseau d’addictovigilance font remarquer que le cannabis est le produit psychoactif illicite le plus consommé en France. On compte environ 17 millions de consommateurs dans la population âgée de 11 à 64 ans. Parmi eux, 1,4 million fument du cannabis au moins dix fois par mois. Par ailleurs, 700 000 individus se déclarent usagers quotidiens de cannabis. La consommation actuelle concerne surtout les plus jeunes et les hommes (28 % des 18-25 ans, 35 % des hommes et 21 % des femmes de cette tranche d’âge).

Les auteurs concluent qu’« avec l’usage de plus en plus répandu du cannabis à des fins médicales et récréatives, les autorités sanitaires doivent être alertées sur cette question de santé publique et diffuser des messages d’avertissement concernant l’existence de ce syndrome, à la fois en direction des professionnels de santé et de la population générale ».