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La dernière enquête de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives relève une baisse de l’usage des drogues chez les jeunes, mais aussi leur banalisation généralisée. Tous les territoires et tous les milieux sociaux et professionnels sont concernés : quelles conséquences ?

Avec

  • Julie Dupouy médecin généraliste et addictologue à Pins-Justaret et professeure des universités à l’université de Toulouse
  • Marie Jauffret-Roustide Sociologue et chercheuse au centre d’étude des mouvements sociaux à l’INSERM. Membre du comité scientifique de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies.
  • Julien Morel d’Arleux directeur de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives

Les quotidiens régionaux sont des fenêtres ouvertes sur une réalité longtemps sous-estimée en France : celle de la généralisation de la consommation de drogue dans l’ensemble du pays.

Le cannabis bien sûr, mais aussi la cocaïne et son dérivé, le crack, l’héroïne, la MDMA-ecstasy et les autres d’orgues de synthèses ne sont plus des marchés restreints aux grandes métropoles mais ont pénétré le tissu social en profondeur.

En revanche, la consommation de chacune de ces substances évolue au fil du temps comme le montre la récente enquête de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives qui note que la consommation du cannabis a baissé chez les jeunes tandis que la consommation de poppers avait bondi dans ces mêmes tranches d’âge.

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Julie Dupouy, médecin généraliste et addictologue à Pins-Justaret et professeure des universités à l’université de Toulouse ; Marie Jauffret-Roustide, sociologue et politiste, chercheur à l’Inserm, au Centre d’Etudes des Mouvements sociaux, coordonne le programme « Sciences sociales, drogues et société » à l’EHESS ; Julien Morel d’Arleux, directeur de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives.

Marie Jauffret-Roustide s’intéresse à l’exemple de la cocaïne : « c’est le produit avec l’augmentation la plus importante sur ces dix dernières années, mais la proportion de Français qui ont expérimenté est dix fois moins importante, la cocaïne est encore un produit de niche ». Elle insiste sur l’image festive du produit : « quand on commencer à consommer, on a pas le sentiment de dangerosité et que ça peut mener à la dépendance, là où l’héroïne est directement associée au VIH ou aux junkies ». Plus généralement, elle remarque que le développement de la consommation de drogues, particulièrement en milieu rural, est lié à des facteurs sociaux comme « la crise économique, le désespoir de certaines populations ». Si le parallèle avec la situation américaine peut sembler évidente, la France n’a pas les mêmes caractéristiques : « sur les opiacés, en France a été créé un véritable encadrement, l’agence nationale du médicament lutte contre les conflits d’intérêts, et on a interdit la publicité ».

« Sur la période 2014-2017, il y a une augmentation du nombre d’usagers, notamment sur la cocaïne » complète Julien Morel d’Arleux, « mais pas d’augmentation des expérimentateurs : le produit est plus disponible donc des gens qui connaissaient déjà l’ont reconsommé ». Les études menées par l’OFDT montrent la pénétration de l’usage des drogues dans le tissu géographique, jusque dans les zones rurales : « il y a une offre de stupéfiants sur les réseaux sociaux et les messageries instantanées qui permettent de convenir d’un rendez-vous avec un dealer qui va aller dans les villages pour un certain nombre de clients par exemple ». Par conséquent, Il faut traiter la question de l’accessibilité des drogues, selon lui, même si la banalisation n’est pas totale : « le regard que portent les Français sur les drogues ne montre pas de banalisation, que ce soit sur la cocaïne ou l’héroïne, il n’y a pas d’évolution ».

Pour Julie Dupouy, il y a bien une banalisation de l’usage des drogues : « les patients utilisent plutôt de façon festive au début, surtout parmi les adultes entre 25 et 40 ans, c’est un usage occasionnel ». Le problème de l’addiction se pose ensuite, « quand on est plus dans une relation indépendante, quand on n’a plus maitrise de l’usage ». Elle alerte sur la perception des dangers liés aux drogues : « les gens ont une bonne perception des risques, mais on envisage moins le risque direct pour soi-même et les patients sont toujours surpris quand ils tombent dans l’addiction ». C’est un chantier de « dénormalisation » qu’elle appelle à engager, « si on y arrive sur le tabac, il y a encore un effort important à faire sur l’alcool ».

Source Radio France