Par le Pr. Jean Costentin (1)
Président du Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies (CNPERT)
Une course de vitesse se joue entre les tenants de la légalisation du cannabis, pressés de commettre l’irrémédiable, et ceux qui, informés des méfaits de cette drogue, expliquent pourquoi sa légalisation serait un drame sanitaire, une mise en danger de notre société et de la vie d’autrui.
Les manifestations de sa toxicité psychique liées à son principal constituant, le THC, consistent en une ivresse, source de dangers pour la conduite automobile et diverses activités professionnelles ; en des effets désinhibiteurs suscitant des prises de risques ; en une perturbation de la capacité d’apprendre et, partant, des activités éducatives ; en la survenue d’anxiété, de troubles dépressifs pouvant inciter au suicide ; en l’apparition ou l’aggravation d’une schizophrénie (la folie dans le langage commun) qu’on ne sait guérir ; en une dépendance / addiction dont on ne sait débarrasser ses victimes ; en une escalade vers d’autres drogues…
Sa toxicité physique est d’ordre cardio-vasculaire, avec des artérites, des accidents vasculaires cérébraux, c’est la troisième cause de déclenchement d’infarctus du myocarde. Il a des effets cancérogènes sur les sphères ORL, broncho-pulmonaire, ainsi que pour les testicules. Il diminue les défenses immunitaires. Il perturbe le déroulement de la grossesse, affecte le développement de l’enfant qui en naîtra ; il manifestera, à l’adolescence, une vive appétence pour les drogues.
De fait, à l’adolescence, les enfants dont les parents consommaient du cannabis, sont plus vulnérables aux toxicomanies. On pensait, assez logiquement, que c’était la conséquence du mauvais exemple donné par les parents, de leur permissivité, d’un accès plus facile aux drogues… Depuis quelques années une autre explication s’est ajoutée, en relation avec effets épigénétiques du THC. Leur importance justifie les explications suivantes.
Nos caractères exprimés (phénotype) sont déterminés par notre programme génétique (génotype), dont le support est l’ADN (acide désoxyribonucléique). Cet ADN est le constituant majeur, mais non exclusif de nos gènes (portés par les chromosomes présents dans le noyau de chacune de nos cellules). A chacun de ces gènes correspond un de nos caractères. Des mutations (spontanées ou provoquées) de notre ADN, sont transmissibles à notre descendance ; elles peuvent modifier les caractères exprimés.
Il existe d’autres types de modifications, dites épigénétiques, qui affectent non pas l’ADN lui même, mais des éléments associés à son enveloppe, à sa chromatine, qui est telle une gaine associée à ces gènes. Ce type de modifications peut influer sur l’intensité d’expression des gènes ; conduisant à des modifications non pas qualitatives mais quantitatives de certains caractères. Diverses substances, dont le THC, produisent des modifications épigénétiques, qui affectent des éléments de l’enveloppe des gènes (les histones de la chromatine), et modifient, ce faisant, leur expression.
Les chercheurs de l’équipe de Y. Hurd (Mont Sinaï Addiction Institute, de New York) ont étudié les effets épigénétiques du THC. Ils ont montré qu’il provoquait (entre autres modifications) la méthylation d’histones associées au gène codant le récepteur D2 de la dopamine, avec pour effet d’en diminuer l’expression.
Les enfants issus de parents ayant consommé du cannabis avant leur procréation, présentent une raréfaction de ces récepteurs D2, dans une structure cérébrale – le noyau accumbens. Comme à la stimulation de ces récepteurs est associée la perception du plaisir (dont chacun de nous a un impérieux besoin), ces individus, aux récepteurs D2 raréfiés, pour éprouver du plaisir, doivent les confronter à une plus grande concentration de la dopamine, que libèrent les neurones dopaminergiques de ce noyau accumbens. Ils recourent pour ce faire aux drogues, à n’importe quelles drogues (c’est leur caractéristique d’action neurobiologique) afin qu’elles instaurent une haute concentration de dopamine (« l’amine du plaisir »)2.
Ainsi, les individus en âge de procréer qui consomment du cannabis, exposent leurs gamètes (spermatozoïdes, ovules) aux effets épigénétiques du THC. Ils pourront conférer à leur progéniture, une sous expression des récepteurs D2 accumbiques avec, pour corollaire, une plus vive appétence pour les drogues.
En conclusion, un libre accès au cannabis des individus en âge de procréer, fera de leurs enfants des toxicomanes. Les « décideurs » doivent bien se pénétrer de ces conséquences. Tout doit être fait pour qu’ils le sachent et ne puissent ultérieurement s’abriter derrière le fait qu’ils ne savaient pas. Passant outre à ces données ils deviendraient responsables, non seulement de la mise en danger de la vie d’autrui, car le cannabis peut tuer, mais aussi d’avoir corrompu les enfants de ses consommateurs.
1« Le désastre des toxicomanies en France » J. Costentin Ed. Docis 2018
2« La dopamine dans tous ses états » J. Costentin Ed. Docis 2017
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