Paris Match (17 au  23 janvier 2019- page 102)

Une anthologie de la désinformation, de la rouerie, de la manipulation des faits et des esprits.

Professeur Jean Costentin

Sur seulement un sixième de page, se présentant comme une question « < LE CANNABIS – Contre la psychose ? », un hymne est entonné à la gloire du cannabidiol (CBD). Il s’agit de l’un des 200 constituants de la famille chimique des cannabinoïdes que recèle le chanvre indien, dont la concentration vient juste derrière celle du tétrahydrocannabinol (THC).

L’auteur de ce billet oublie de rappeler que le THC est rendu responsable de la schizophrénie (la folie au sens commun de ce terme). Il ne voudrait surtout pas dévaloriser le cannabis, en un temps où d’aucuns veulent le légaliser, après la large dépénalisation que sa consommation (infliction d’une simple amende de 200 euros ; en solde de tout compte,  sans trace pour ignorer les récidives).

Chimiquement très voisin, du CBD,  le THC se forme à partir de ce premier au contact de l’acidité extrême du liquide gastrique) ; ce THC  est  seulement qualifié ici  de « drogue douce addictive ».

Ce billet vise à restituer une publication (sans titre, sans nom de la revue, sans date, ni désignation d’au moins un de ses auteurs). Il n’est pas signé, forme de journalisme avec port de gants (pour ne pas laisser de traces) et de masque (pour n’être pas reconnu).

Alors qu’il s’agit d’une molécule précise, le CBD,  ce billet est illustré par une photographie de marijuana…

Il fait état d’essais sur des sujets à hauts risques de psychose. Sont ils ou deviendront-ils psychotiques ? Il vaudrait mieux qu’ils le soient pour constater une efficacité sur le trouble déclaré.  Sur les 19 sujets traités par le CBD  vs. 17 autres sous placebo, est rapportée une normalisation de l’IRM fonctionnelle dans 3 zones cérébrales affectées par le processus psychotique.  Ainsi présenté cela correspondrait à 100% d’efficacité. C’est si beau qu’il va falloir lire sans délai cet article scientifique, mais comment le  trouver?

Ce même Paris Match  avait, en novembre 2013, chanté sur 4 pleines pages, sous la plume de R. Zarzavatdjian, les effets thérapeutiques du cannabis.  Après que je lui eus, à sa demande, communiqué la longue liste des arguments contraires en citant les avis des académies nationales de Médecine et de Pharmacie, il n’en a retenu aucun.

Ce n’était pas le moment d’invoquer le principe de précaution, alors que des  producteurs étaient prêts à en faire un médicament pour tout et donc  pour tous. Mais ils ont été ensevelis par une avalanche de données scientifiques convergentes qui invalidaient complètement le THC.

Tout cet investissement pour rien ? Toutes ces serres  pour la culture du cannabis devenant inutiles ?  Toutes ces filières prêtes pour son négoce, stérilisées ? Pas question !  A capitalistes  géniaux rien d’impossible ; ils ont recyclé aussitôt leurs espoirs du THC en ceux du CBD, aidés par le développement de cultivars pauvres en THC et riches en CBD. Et d’emboucher alors les trompettes de cette nouvelle renommée du CBD ; trompettes (à mon avis) bien mal embouchées. Leurs échos ont été largement relayés  par des médias dont le discrédit ambiant devrait s’aggraver en raison de la perception de leurs roueries et manipulations des faits et des esprits.

Pour conclure, le pharmacologue, plus que quiconque sans doute, est ouvert à toutes recherches susceptibles  de déboucher sur des innovations thérapeutiques, surtout en des domaines où la pharmacopée est démunie de médicaments efficaces. Il est par contre fermé aux manipulations et anticipations hasardeuses, qui font naître des espoirs à des stades beaucoup trop préliminaires, qui jouent de la crédulité publique et qui sont émises de façon subliminale, mais souvent  sans pudeur, au service d’une légalisation du cannabis. Tout porte pourtant à croire qu’elle ne tarderait pas à dépasser les dramatiques conséquences que l’on attribue au tabac et à l’alcool (respectivement 49.000 et 79.000 décès annuels en France).