Docteur Jean Costentin                                                                                   le 17 Mai 2021

Professeur émérite

Président du Centre National de Prévention, d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies (CNPERT)

               Mesdames et Messieurs les députés,

               Effaré par la légèreté avec laquelle vous vous exprimez publiquement à propos de ce que vous appelez le cannabis « récréatif », je m’adresse à vous au nom du CNPERT.

Cette appellation de « cannabis récréatif » qui vous est propre, s’agissant de cette sale drogue, est une illustration de la manipulation de l’opinion à laquelle vous vous livrez. Dans les fonctions que vous occupez cela s’apparente à une forfaiture.

Vos déclarations s’inscrivent dans le droit fil de la banalisation de cette drogue, associées à une absence complète de prévention en milieu éducatif (que vous n’avez jamais déplorée et moins encore réclamée) qui est dénoncée par l’observatoire européen des drogues et toxicomanies (O.E.D.T.), elles contribuent au nombre record des consommateurs de cannabis dans notre Nation, en tout premier rang à cet égard des 27 Etats membres de l’U.E.  

Le rapport que vous avez si rapidement rendu public après que le Ministre de l’Intérieur et le Président de la République aient sifflé l’arrêt de votre « récré »,  est une désobéissance aux ordres supérieurs. Cela pourrait se concevoir si vous contestiez une décision insupportable, mais en l’occurrence cela ne l’est pas, car votre action vise à  en instaurer une.

Votre « cannabis récréatif » :

 C’est une addiction qui affecte 20% de ceux qui l’ont expérimenté ; avec, chez l’adolescent, un pouvoir addictif supérieur à celui des morphiniques (étude de N. Volkow publiée il y a un mois). Cette addiction a piégé, malgré la prohibition de ce cannabis, 1.500.000 « usagers réguliers », incapables de s’en abstraire, contre laquelle on est complètement démuni. Ces usagers y ajoutent souvent d’autres drogues (poly toxicomanies) dans un processus d’escalade désormais incontestable et dont les substrats neurobiologiques sont maintenant précisés.

C’est une toxicité physique supérieure à celle du tabac (qui tue annuellement en France 75.000 fumeurs et induit de nombreux handicaps) car sa combustion produit 6 à 8 fois plus de goudrons cancérigènes et d’oxyde de carbone : troisième cause de déclenchements d’infarctus du myocarde ; responsable d’accidents vasculaires cérébraux chez des sujets jeunes (cf. les travaux du CHU de Strasbourg) ; induisant des artérites des membres inférieurs plus précoces que celles dues au tabac.

 Avec le cannabis ce sont des femmes enceintes (incapables dans leur très grande majorité d’arrêter sa consommation) ayant des grossesses abrégées, des nourrissons fragiles aux tailles et poids réduits, porteurs d’éventuelles malformations dont le développement psychomoteur est retardé. C’est dans l’enfance, une fréquence accrue d’hyperactivité avec déficit de l’attention ou des troubles du spectre de l’autisme. C’est à l’adolescence, une vulnérabilité aux toxicomanies, à la schizophrénie, à des difficultés cognitives et à des déficits de l’immunité…

Le cannabis est la drogue de la « crétinisation » ; il affecte des trajectoires intellectuelles qui auraient pu être favorables, mais qui font stagner ses victimes dans des statuts des plus modestes, en faisant même des assistés à vie. Il relègue la France au 27ième rang du classement PISA des performances éducatives internationales. Cette drogue du renoncement, de l’aboulie, du syndrome amotivationnel sévit en une période où il faudrait être performants dans la compétition internationale pour éponger notre dette abyssale, aggravée par la COVID.

C’est une drogue qui tue sur la route ou dans des activités professionnelles ; une drogue qui rend auto-agressif (suicide) ou hétéro-agressif (bouffées délirantes).

C’est une drogue qui induit des dépressions de l’humeur (avec, en embuscade, leur risque de suicide) ; qui induit, décompense ou aggrave la schizophrénie (laquelle dans 10% des cas conduit à une mort brutale).

 C’est une étape de l’escalade vers d’autres drogues, dont les morphiniques et leurs overdoses mortelles. 

Qu’y a t’il donc de récréatif dans tout cela ?

Où les méfaits précités sont-ils mis en exergue dans votre rapport? Cachant mal sa vacuité, son épaisseur sera pour la grande majorité des citoyens, une dissuasion à sa lecture.

Où est l’attention que vous devriez porter à la santé de notre société et à celle de ses membres,  en particulier des plus jeunes d’entre eux ?

 D’une façon qui serait risible, si ce n’était dramatique, vous insistez sur le caractère « encadré » que revêtirait cette légalisation ; le précédent du tabac et de l’alcool ne vous rappellerait-il rien, à l’heure où ils sont consommés d’une façon intense et de plus en plus précoce.

C’est d’une voix hésitante que vous devriez évoquer cette drogue, au lieu de pérorer comme le font quelques uns d’entre vous, pour tenter de masquer leur connaissance partielle voire leur méconnaissance de points essentiels d’un sujet que vous ne maîtrisez pas.  

Nous déplorons de ne pas avoir été conviés à présenter nos connaissances lors des audits que vous avez effectués ; cela aurait enrichi votre rapport de points essentiels… mais ils contredisaient vos thèses.

L’article ci-joint vous permettra de faire la connaissance de ce sujet majeur que sont les effets épigénétiques du THC, « oubliés » dans votre rapport. En substance il est établi que les méfaits du cannabis n’affectent pas seulement ceux qui le consomment, mais aussi leurs descendants. En effet, quand ses consommateurs sont en âge de procréer, l’exposition de leurs gamètes (spermatozoïdes, ovules) au THC leur fait transmettre à l’enfant qu’ils viendraient à concevoir des marques épigénétiques,   réduisant l’expression de certains de leurs gènes, ce qui sera à l’origine : d’anomalies tératogènes, d’une vulnérabilité aux addictions lors de l’adolescence, auxquels s’associent les méfaits détaillés dans le précédent paragraphe.

Nous protestons enfin contre l’indécence de votre « consultation citoyenne » sur le cannabis « récréatif ».  Pour faire partager / diluer votre responsabilité, vous avez lancé cette «consultation » sans que les citoyens interrogés disposent d’informations sérieuses sur les dangers du cannabis, beaucoup d’entre eux ayant encore l’idée fallacieuse d’une « drogue douce ». Il était inconvenant de pratiquer cette consultation au cœur de la pandémie Covi19, source de préoccupations vitales, d’une crainte de reconfinement, d’inquiétudes économiques qui détournaient du cannabis l’attention des citoyens, à l’exception, que vous escomptiez, des 1.500.000  consommateurs réguliers de cannabis, impatients d’en disposer librement. Seuls 250.000 citoyens ont répondu, dont 20% d’entre eux pour exprimer leur opposition à la légalisation. Cette consultation           « bidon » fut donc un « bide ». 
Pourtant, sans vous le tenir pour dit, vous proposez un référendum, comme si dans le déclin ambiant, que cette légalisation aggraverait, il n’y aurait pas de sujets plus urgents et plus importants à faire trancher par ce mode exceptionnel d’arbitrage démocratique.

               Ce rapport, tout comme cette « consultation citoyenne », ne prouvent rien d’autre que la mauvaise foi de ses rédacteurs et de ses organisateurs. C’est pourquoi nous avons considéré qu’il était important d’exprimer notre désapprobation et de porter à votre connaissance et à celle de nos concitoyens les informations omises ou relativisées dans votre rapport.

               Si l’on ne sait pas, ou si l’on ne sait plus, à qui imputer les drames multiples liés à l’alcool et au tabac, il est maintenant possible d’identifier ceux par qui adviendraient les drames que recruterait le cannabis. Ils ne  pourront plus se réfugier derrière l’anonymat et le fait qu’ils ne savaient pas.

               Nous ne saurions trop vous recommander, pour notre Nation, pour votre réputation entamée, pour votre avenir politique et pour plein d’autres raisons que vous concevrez facilement, de passer votre rapport dans le broyeur à  papier. Pour tenter  de faire oublier ce très mauvais faux pas, vous devriez vous investir dans d’intenses actions  éducatives de prévention.

               Veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les députés, l’expression de la déférence que nous avons pour tous les membres de la représentation nationale ; déférence néanmoins troublée par le mauvais usage  que vous  venez de faire de votre mandat.

                                                                                         Professeur Jean Costentin