Quels que soient ses déguisements (cidre, bière, poiré, vins, apéritifs, anisette, cognac, vodka, gin, bourha, eaux de vies de fruits, calvados, etc.) l’alcool demeure de l’alcool.
« Le poison est dans la dose », il est aussi dans la fréquence des consommations, dans la durée de l’intempérance, dans la dépendance qu’elle installe, dans la nature des boissons alcooliques, dans certaines modalités de consommation, dont l’une d’elles est en pleine extension, le « binge drinking » ou « biture expresse » ou alcoolisation aigüe (correspondant à plus de cinq unités alcooliques en une même occasion).
L’importance de la consommation annuelle moyenne d’alcool pur par citoyen français est actuellement de 12 litres. Si elle a diminué de moitié en 40 ans, la consommation des français est encore au deuxième rang en Europe. Cette diminution indique l’efficacité de certaines actions (dont le « dry january »), même si cette satisfaction doit être tempérée par l’envol simultané d’autres toxicomanies, ce qui ne correspondrait qu’à un transfert d’addictions.
Se saisir du grave problème de l’alcoolisme, deuxième cause de mortalité évitable derrière le tabac (avec lequel il a souvent partie liée) avec ses 41.000 morts chaque année, ses multiples détresses sociales et ses graves pathologies non létales, constitue une nécessité sanitaire, sociale et sociétale. Cette démarche ne peut évidemment méconnaître l’importance économique qu’occupe l’alcool dans notre pays, qui en est à la fois grand producteur, grande consommateur et grande exportateur.
On dénombre en France neuf millions d’usagers réguliers de boissons alcooliques, dont quatre à cinq millions d’« alcoolo-dépendants ». Cette expression indique qu’ils ont besoin, chaque jour, pour ne pas éprouver de mal-être, de consommer, à une ou plusieurs reprises, une boisson alcoolique. Parmi eux, il pourrait (on ne dispose pas de chiffres officiels) y avoir jusqu’à un million d’individus s’adonnant à un excès très manifeste d’alcool, en consommant par jour plus de six unités alcooliques, i.e. plus de 60 grammes d’alcool pur par jour (et souvent bien davantage) ; ce sont les « alcooliques ». Toute connotation péjorative doit être exclue de cette appellation ; s’agissant de malades, de grands et même de très grands malades. A ces hauts niveaux de consommation, l’alcool est une drogue dure, très dure même. Un sevrage brutal pouvant être létal, il doit être réalisé en structures de soins.
Comment peut-on agir sur les causes et les effets de cette maladie qui associe à des troubles physiques des perturbations psychiques ?
Il faut s’appliquer à rompre le lien, tissé de très longue date dans notre société, entre la notion de fête et la consommation d’alcool, jugées inséparables. Une telle relation est démentie par des abstinents complets d’alcool, qui peuvent pourtant avoir le sens et le goût de la fête. Elle est démentie aussi par les adeptes de la religion islamique dont les fêtes se déroulent sans alcool.
Le degré alcoolique des bières et le volume de leurs cannettes s’accroissent régulièrement. Le degré alcoolique des vins s’envole lui aussi (avec des Côtes du Rhône communément à 14°5). Il faut revenir sur cette inflation, en taxant davantage les boissons au prorata de leur volume et de leur degré alcoolique. Il faut rappeler que chaque verre standard apporte en moyenne 10 grammes d’alcool pur.
L’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs doit être mieux respectée, et prolongée par l’interdiction faite aux mineurs de transporter des boissons alcooliques.
L’infirmière du collège ou du lycée doit être en mesure de pratiquer le dosage sommaire de l’alcool dans l’air expiré par un élève, à la demande d’un professeur constatant des troubles du comportement ; un résultat positif sera communiqué aux parents de l’élève, au médecin scolaire et au directeur de l’établissement.
Le « champomy », dont le degré alcoolique doit être inférieur à 1°2 (moins de 12 g d’alcool pur par litre) pour justifier l’appellation de « boisson non alcoolique » (comme certaines bières) n’est en fait pas rigoureusement dépourvu d’alcool. Dans l’agitation d’un après midi de jeux et de danses, le gamin qui « siffle » sa bouteille de « Champo » boit l’équivalent d’un verre de vin standard. Le « Champo » installe très tôt chez l’enfant l’idée qu’à la fête doit être associé quelque chose qui ressemble au champagne. Le même raisonnement peut être appliqué aux autres boissons dites « sans alcool », comme certaines bières.
Des informations répétées devraient expliquer aux jeunes les conséquences souvent malheureuses des alcoolisations aigües : Le coma, les vomissements avec régurgitations dans les voies respiratoires (syndrome de Mendelson, souvent létal), l’induction d’un alcoolisme ultérieur ; les effets neurotoxiques, la désinhibition dangereuse pour soi comme pour autrui…
Forçant les oppositions des alcooliers, il importe d’intégrer une information et une prévention sur les dangers de l’alcool dans les programmes éducatifs, par une pédagogie précoce, étalée sur tout le cursus, depuis l’école primaire jusqu’au lycée (44% des élèves en classe de sixième ont déjà expérimenté l’alcool) ; cela en concerne les trois quarts (75%) en classe de troisième. Au collège, tous niveaux de classes confondus, six élèves sur dix déclarent avoir déjà consommé une boisson alcoolique et un sur dix a déjà connu une ivresse. Au lycée, l’usage de l’alcool tend à se généraliser, concernant neuf élèves de classe terminale sur dix (89%), tandis que près de la moitié des lycéens déclare avoir déjà été ivre. Les usages réguliers (10 fois au cours du mois) ont plus que doublé entre la classe de seconde et celle de terminale (passant de 11% à 24,5%) et les alcoolisations ponctuelles importantes (le fait d’avoir bu 5 verres en une même occasion au cours du mois écoulé) passent de 36% en seconde à 52% en terminale. A l’université la fréquence des ivresses aigues s’envole et les comas alcooliques n’ont rien d’exceptionnel.
Les « happy hours », par une consommation d’alcool à un prix réduit, privilégiant les grands formats aux heures habituellement creuses des bars, devraient être interdites en raison de leur incitation à l’ivresse.
Des contrôles d’alcoolisation devraient être pratiqués, à la seule vue d’un comportement anormal dans l’espace public, même sans relation avec la conduite d’un véhicule ; les niveaux d’alcoolémie supérieurs à 0,50 g/L (soit 0,25 mg/L d’air expiré) devraient être verbalisés et une mise en cellule de dégrisement interviendrait pour des alcoolémies supérieures à 1g/L.
Les prix des alcools forts devraient atteindre des niveaux très dissuasifs. Le niveau des taxes devrait être revu considérablement à la hausse, leur montant actuel ne couvrant que 37% des soins des maladies engendrées par l’alcool.
Les contrôles routiers d’alcoolémie devraient être multipliés. Chez les titulaires depuis moins de trois ans d’un permis de conduire (moto ou auto) l’alcoolémie devrait être nulle, pour instaurer le principe du « boire ou conduire, il faut choisir », en espérant que l’abstinence perdurera au-delà de cette période probatoire.
Tous les restaurants devraient proposer, outre les bouteilles et demi-bouteilles usuelles, du vin au verre et des pichets de volumes variés (125, 250 mL).
On sait désormais détecter l’importance et la durée de la consommation d’alcool d’une personne, par la mesure dans ses cheveux d’un produit de transformation métabolique de l’alcool, l’éthylglucuronide. Ce dosage pourrait être réalisé lors du recrutement pour l’exercice de certaines fonctions, ainsi qu’inopinément au cours de leur exercice.
La restitution d’un permis de conduire, après sa suppression pour état d’ivresse, devrait être conditionnée à la tempérance vérifiée par le dosage capillaire de l’éthylglucuronide, ainsi qu’à la pose dans le véhicule de l’impétrant d’un dispositif empêchant le démarrage si, dans l’air qu’il expire, est décelé une imprégnation alcoolique. Un tel dispositif pourrait d’ailleurs être généralisé à tous les véhicules.
Les contrôles d’alcoolémie en milieu professionnel devraient être plus systématiques, dans les postes de sécurité en particulier et lors de la prise de poste d’activités requérant une parfaite lucidité.
Devraient être supprimés l’alcool dans les buvettes de stade, ainsi que les « troisièmes mi-temps » qui font suite aux manifestations sportives.
Devraient être effectivement interdits les bizutages, qui visaient l’intégration à une culture, à un groupe, à l’exercice d’une tradition et qui se sont laissés dénaturer par des ivresses donnant lieu à des exactions intolérables.
Doit être interdit aux alcooliers le don d’alcool pour des soirées estudiantines, conçues comme une initiation aux ivresses.
Les boissons non alcooliques ou à faible degré alcoolique devraient être plus facilement accessibles, à des prix plus attrayants que ceux des boissons alcooliques (par exemple jus d’orange vs. bières).
Une « nouvelle gastronomie » devrait être conçue pour être associée à des boissons non alcooliques. Cependant notre gastronomie nationale, mondialement appréciée, largement bâtie au contact des boissons alcooliques de leur terroir d’origine, mérite d’être respectée, tout comme la modération qu’implique cette permissivité.
Les personnels des cafés ne devraient plus servir de boissons alcooliques à des sujets présentant les prémices de l’ivresse. Le constat d’individus ivres à la sortie de ces établissements devrait aussi davantage engager la responsabilité des cafetiers.
Il convient d’agir contre la publicité pernicieuse réalisée par des viticulteurs et des consortiums alcooliers, publicité conçue pour donner aux jeunes le goût du vin et des autres boissons alcooliques ; il convient d’interdire, par exemple, un livre sur la vigne, financé par le syndicat du vin, destiné aux élèves des petites classes, qui fait un panégyrique de la production du vin, en ne comportant aucune mention de la dangerosité de l’alcool. L’Etat doit être très attentif à la communication insidieuse du lobby alcoolier.
A la formule « l’abus d’alcool est dangereux » doit être substituée « la consommation d’alcool est dangereuse ».
Chez les femmes enceintes toute consommation d’alcool doit être exclue, afin de prémunir du syndrome d’alcoolisation fœtale, qui concerne encore 1 p 1000 des nouveau-nés ; un pictogramme qui le rappelle, apposé sur toute bouteille contenant une boisson alcoolique, doit enfin être parfaitement lisible.
Chez les individus ayant une consommation excessive d’alcool, une prise en charge médicale est indispensable. Si, lors des consultations, les médecins généralistes s’enquièrent aisément de la consommation de tabac de leurs patients ils sont souvent inhibés pour aborder la question de leur consommation d’alcool. Cette pudeur malencontreuse doit être dépassée, afin d’en parler et de rappeler les niveaux de consommation tolérés : « pas plus de deux verres de vin par jour et pas tous les jours ».
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