DOCTEUR JOËLLE GUILHOT
Jill Sederstrom : Growing Marijuana Use – ASH Clinical News, vol.8 n° 10, August 2022 (John
Wiley & Sons on behalf of the American Society of Hematology).
Cet article résume certains aspects de l’utilisation du cannabis et de ses dérivés en onco-hématologie sur la base de réflexions orales ou écrites de spécialistes de cette discipline.
La légalisation de ces produits aux Etats Unis, à des fins médicales ou récréatives, est en augmentation.
Par ailleurs, une enquête nationale américaine sur la consommation de drogues et la santé, conduite en 2020, a indiqué que 17,9 % des personnes âgées de 12 ans ou plus (environ 49,6 millions de personnes) ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours des 12 mois précédents.
C’est une pratique en augmentation que les hématologues constatent eux même dans leur pratique clinique. Or, on attribue aux cannabis et aux cannabinoïdes le potentiel de réduire la douleur, d’améliorer la qualité de vie, d’aider aux soins palliatifs et d’augmenter l’appétit. L’intérêt de ce type de molécules est donc à discuter dans le domaine de l’onco-hématologie, car de nombreux patients souffrent d’anxiété, de
douleurs chroniques, de nausées et perte d’appétit liées à la maladie ou à son traitement.
De nombreuses études cliniques ont été et sont encore menées mais le rapport bénéfice/risque reste difficile à établir.
Les problèmes soulignés dans cet article sont en effet multiples et relèvent de plusieurs
aspects :
a) L’absence de lois harmonisées d’un état américain à l’autre concernant le nombre de produits autorisés (le « Far-West » selon le Dr Hansra), leur formulation (plus d’une centaine selon le Pr Gupta) et leur distribution : Il est donc difficile de comparer les essais de recherche menés dans un État à un autre, d’élaborer des lignes directrices ou des conclusions uniformes. La Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a cependant approuvé deux cannabinoïdes synthétiques : le dronabinol et le nabilone,
afin de traiter les nausées et les vomissements chez les patients qui suivent une chimiothérapie,
b) L’utilisation avouée ou non de drogues illégales, en plus de ce qui a pu être prescrit par le médecin. Toutes formes confondues beaucoup de patients en consomment estime le Dr Curtis. Dans l’une de ses études concernant la drépanocytose, en 2018, 42 % des patients adultes interrogés ont déclaré avoir consommé de la marijuana au cours des deux années précédentes, principalement à des fins «médicales».
Elle a donc décidé de favoriser l’accès légal au cannabis thérapeutique pour limiter au maximum les pratiques illégales chez ses patients, mais elle n’exclut pas que certains puissent cumuler les deux sources d’apport en même temps, augmentant ainsi le risque de toxicité. Elle souligne à quel point la conversation avec les patients concernant leurs habitudes est importante,
c) Le manque de transparence quant à la formulation de certains produits commercialisés. Le Pr Halpern ne prescrit pas de dérivés du cannabis à ses patients.
Elle estime que leur développement industriel n’est pas assez réglementé et que le produit fini fourni est en fait parfois mal connu.
Dans tous les cas la conduite d’essais thérapeutiques est rendue difficile par la complexité de la législation mais aussi parce que les patients, doivent s’engager à renoncer à toute consommation personnelle et étrangère de cannabis pour s’assurer que les résultats de l’étude sont valides.
De fait, les auteurs des études citées ici sont réservés quant aux bénéfices potentiels. Les études observationnelles auxquelles le Dr Curtis a participé concernant la drépanocytose indiquent que les patients qui ont eu du cannabis médical pour traiter leurs symptômes ont signalé une amélioration de la douleur, de l’appétit, et une diminution de l’anxiété avec, pour les formes les moins sévères de la maladie, moins de recours à des consultations médicales.
Mais elle souligne que ces résultats ne sont pas aussi solides que s’ils avaient été issus d’un essai contrôlé randomisé. Le Pr Abrams, lui, a participé à un essai croisé randomisé comparant du cannabis vaporisé (THC et CBD associé) à un produit vaporisé placebo dans la drépanocytose.
Parmi les 23 patients qui ont terminé les deux volets de traitement, les chercheurs n’ont constaté aucune différence significative dans les niveaux de douleur autodéclarés ou les symptômes liés à la maladie.
Le cannabis (CBD et THC) a aussi été proposé pour traiter la réaction du greffon contre l’hôte lors de greffe, notamment de cellules souches hématopoïétiques. Le Pr Shore a participé à une étude qui en a montré l’intérêt. Pour autant, elle préfère ne proposer le cannabis que lorsque les patients ne répondent pas aux autre traitements connus.
Le Dr Hansra, tant en hématologie qu’en cancérologie, note un intérêt dans sa pratique courante pour le dronabinol avec amélioration importante de l’appétit, des niveaux d’anxiété et des mesures de la qualité de vie. Mais il estime lui aussi que les études en cours manquent de qualité.
Par ailleurs les risques potentiels du cannabis et des cannabinoïdes ne sont pas négligeables :
- Majoration de sentiments de désorientation, d’anxiété, de vomissements ou de nausées et de fatigue à court terme, chez certains patients et non réduction de ces symptômes comme escompté.
- Majoration de syndrome dépressif : le Pr Franson note que même si à court terme ce symptôme à été objectivement réduit, il peut paradoxalement, se majorer à plus long terme.
- Infections fongiques locales et pulmonaires :
Toutes pathologies confondues, une étude observationnelle utilisant les données d’une vaste base de données sur les demandes de règlement d’assurance-maladie a indiqué que les patients qui fumaient du cannabis étaient 3,5 fois plus susceptibles de développer une infection fongique que ceux qui n’en consommaient pas. - Les spores fongiques sont apportées par la plante. A fortiori, les patients traités spécifiquement pour des hémopathies malignes (leucémies, syndrome myélodysplasiques …) sont donc particulièrement à risque de développer ces infections fongiques car ils sont immunodéprimés comme le souligne le
Dr Halpern. - Il déconseille donc les formes inhalées ou vaporisées, tout comme le Dr Curtis, même si certains comme le Pr Abrams déclare que ces dernières contrôlent mieux l’apparition, la profondeur et la durée de l’effet thérapeutique.
Enfin, le Dr Hansra déclare que la recherche sur les interactions possibles du cannabis avec la chimiothérapie est limitée et on ne sait pas encore si cela pourrait nuire à son efficacité ou non.
Les formes orales sont en effet métabolisées par le foie.
En conclusion,
Il y a encore de nombreuses et importantes questions sans réponses au sujet du cannabis médical, de son efficacité et des populations de patients qui pourraient en bénéficier en onco-hématologie.
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